“6 Belges sur 10 possèdent trop peu de connaissances financières”

Kristof De Witte © Saskia Vanderstichele

Si à 14 ans vous savez ce que coûte une voiture et comment calculer les intérêts sur un emprunt, vous vous endetterez moins rapidement. Cependant, six Belges dix ne possèdent pas ces connaissances. Même une fois qu’ils sont adultes. “C’est pourquoi tous les écoliers bénéficieront bientôt d’une éducation financière”, déclare l’économiste Kristof De Witte.

Vous mettez 100 euros sur un compte-épargne, avec un rendement garanti de 2% par an. Vous ne faites pas de versements supplémentaires et vous ne retirez pas d’argent. Quelle somme y aura-t-il sur ce compte après cinq ans ?*

Pas besoin d’avoir honte si vous l’ignorez: pas moins de 50% de tous les Belges ne connaissent pas la réponse.

Une étude récente de Wikifin.be révèle que 63% des Belges ne possèdent ni les connaissances, ni les compétences, ni les attitudes nécessaires pour gérer de l’argent de manière responsable. Par exemple, ils ne savent pas comment fonctionne l’inflation, ce qu’est précisément l’épargne-pension fiscale, quels sont les dangers de la carte de crédit de leur supermarché ou comment négocier avec leur banque pour obtenir un emprunt hypothécaire avantageux. “Pour bien gérer ses finances, il faut aussi payer ses factures à temps et surveiller ses comptes en banque”, déclare le professeur en économie Kristof De Witte, directeur du centre de recherche Leuven Economics of Education Research (KU Leuven). “63% obtiennent un score médiocre dans l’un de ses domaines. 53% sont incapables de gérer un budget ménager : ils n’accordent pas leurs dépenses à leurs revenus. D’autres n’ont pas la bonne attitude : ils ne pensent pas à épargner, et trouvent que l’argent doit valser.”

Ce n’est pas sans conséquence. Si on possède moins de connaissances ou de compétences, on a moins tendance à épargner pour des dépenses imprévues, on a un niveau de dettes plus élevées et des coûts de financement plus lourds, on investit moins sur les marchés d’actions, et on construit moins de réserves pour sa pension.

Qui sont ces 6 Belges sur 10 qui ont si peu de connaissances financières?

Kristof De Witte: Toujours les mêmes. Les chômeurs, personnes seules et peu qualifiées qui doivent se contenter d’un revenu modeste et possèdent peu de produits financiers. L’âge aussi joue un rôle. Le groupe moyen, âgé d’environ 35 à 65 ans, possède les plus grandes connaissances financières. C’est dû évidemment au fait qu’ils s’occupent d’affaires financières. Comme ils veulent acheter ou construire une maison, ils étudient ce qui leur coûtera un emprunt hypothécaire par exemple. Ou ils étudient comment investir leur épargne. Les personnes âgées en savent nettement moins, parfois parce que leur partenaire qui s’occupait des finances est décédé. Plus inquiétant est le manque d’alphabétisme financier de la future génération.

À quoi voyez-vous ça ?

Notamment à l’étude internationale PISA qui sonde les connaissances de jeunes de 15 ans. 12% des écoliers flamands ne réussissent pas à atteindre le niveau de base en matière d’alphabétisme financier. En 2012, ce chiffre était encore de 8,7%. Le problème s’aggrave donc.

Beaucoup de jeunes ne connaissent pas la valeur de l’argent. Un enseignant du secondaire me racontait qu’il avait demandé à ses élèves à combien s’élevait un salaire moyen de débutant. Savez-vous quelle était la réponse ? 2500 euros nets ! Comme s’il y avait beaucoup de jeunes qui sortent de l’école qui gagnent autant.

Beaucoup de jeunes ont l’illusion qu’ils pourront s’acheter une maison de 600.000 ou 700.000 euros. C’est aussi beaucoup trop, évidemment.

Les parents doivent-ils inculquer le sens des réalités à leurs enfants?

C’est en tout cas une bonne idée de familiariser les jeunes enfants avec l’argent. Une fois qu’ils vont à l’école primaire, on peut leur expliquer pourquoi maman et papa vont travailler tous les jours et ce qu’ils font de l’argent qu’ils gagnent. Sans entrer en détail, on peut aussi leur inculquer ce que coûtent des vacances ou une nouvelle voiture.

En donnant de l’argent de poche aux enfants, on leur apprend à budgétiser. S’ils doivent choisir entre dépenser leur argent à des bonbons ou épargner pour quelque chose de plus grand, ils apprendront d’eux-mêmes à accorder leurs dépenses à leurs revenus.

Ainsi, on peut construire progressivement l’éducation financière de ses enfants. Cela paie aussi : un jeune de quatorze ans qui a une carte bancaire et qui gère son argent de poche en sait beaucoup plus sur l’argent que ses camarades qui n’en ont pas.

Ce ne sont pas surtout les ménages diplômés à double revenu qui essaient de donner une éducation financière à leurs enfants ?

C’est effectivement un problème. Comparés à la plupart des autres pays, nos scores en alphabétisme financiers ne sont pas si mauvais, mais entre les forts et les faibles il y a un écart de connaissances de quatre années scolaires. Les jeunes de familles pauvres surtout ont peu de connaissances financières. Dans ce groupe, il y a aussi beaucoup d’adolescents issus de l’immigration : ils sont parfois entravés par un retard linguistique.

Ce n’est en tout cas pas un hasard si 5% des Belges que nous qualifions d'”analphabètes financiers” vivent pour la plupart dans la pauvreté. Ce sont des gens qui ne comprennent pas que la lettre qu’ils ont reçue est une facture. Ou qui ne comprennent pas qu’acheter à crédit peut être dangereux. Comme ils n’en savent pas beaucoup eux-mêmes, ils ne peuvent pas bien éduquer leurs enfants. Ce sont donc les jeunes qui y auraient le plus intérêt qui n’ont pas d’éducation financière. Et si on ne sait comment gérer le peu d’argent qu’on a, on risque de s’enfoncer encore davantage dans les problèmes. C’est un cercle vicieux qu’il fait briser.

* 110,41 euros

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