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Bali : triomphe ou folklore ?

Les commentaires dithyrambiques n’ont pas manqué à propos de l’accord intervenu le week-end dernier à Bali, à l’issue de la réunion de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce. En particulier de la part de ses acteurs, il est vrai. “Pour la première fois de son histoire, l’OMC a vraiment tenu ses promesses”, a affirmé son directeur général, le Brésilien Roberto Azevedo, à deux doigts de fondre en larmes. Il n’a pas tort : comme on l’a claironné tous azimuts, jamais un tel consensus n’était intervenu depuis 1994, quand les négociations du fameux Uruguay Round débouchèrent sur l’accord de Marrakech et la création, un an plus tard, de l’OMC.

Une victoire, vraiment ? “Nous avons sauvé l’OMC”, a plus sobrement observé le commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht, ce que la ministre française du Commerce extérieur, Nicole Bricq, traduit par : “Un échec aurait signé la fin de l’OMC”. Si survivre est déjà une victoire… Comment faire la part des choses ? D’un côté, on admet que l’accord ne porte que sur un dixième de l’enjeu global, dessiné à Doha (Qatar) en 2001. Un fort modeste début donc, d’autant qu’on a clairement “évacué tous les sujets qui fâchent”. De l’autre, Roberto Azevedo évoque un gain de 1.000 milliards de dollars et la création de 20 millions d’emplois. Mais quel économiste y croit ?

La critique la plus fondamentale porte toutefois sur un tout autre plan : l’OMC ne ferait que de la figuration sur la scène internationale, aujourd’hui dominée par les accords bilatéraux négociés entre pays ou blocs économiques, et ceci au niveau des seuls pays développés. Ainsi les concessions faites à Bali par les Etats-Unis, face à l’Inde et à Cuba, auraient tout bonnement pour explication qu’ils se fichent un peu de cette grand-messe : dans sa volonté de contrer l’émergence de la Chine, Washington concentre ses efforts sur la conclusion d’accords avec quelques pays d’Asie et surtout l’Union européenne, avec laquelle les pourparlers reprendront la semaine prochaine.

L’OMC est-elle dès lors inutile ou, au mieux, folklorique ? N’exagérons pas. Les spécialistes des relations Nord-Sud soulignent qu’il est politiquement opportun que les pays en développement puissent aussi faire entendre leur voix. L’absence d’une telle tribune ne pourrait en effet qu’accroître les tensions à l’heure où les pays du Nord discutent d’abord entre eux. Y a-t-il des arguments plus concrets ? Oui, quand on se réfère à la discussion très tendue qui a eu lieu à Bali à propos des subsides que l’Inde octroie à sa production agricole, Washington se déclarant “hostile à toutes subventions”. On sait pourtant que, sans ces dernières, il n’y aurait plus de production cotonnière aux Etats-Unis ! Justement : en cette matière, l’OMC peut s’ériger en juge et imposer des sanctions. La condamnation de Washington en 2009, sur le terrain du coton précisément et sur plainte du Brésil, est restée dans les annales.

On notera enfin que Bali a beaucoup mis l’accent sur la “facilitation des échanges”, ce qui signifie prosaïquement réduire la bureaucratie aux frontières. Il y a énormément à faire sur ce plan dans les pays du Sud, où tracasseries et droits de douane profitent souvent davantage à la classe dirigeante qu’ils ne protègent vraiment la production locale. Une réelle avancée dans ce domaine ne peut qu’accroître la prospérité des populations. Pour peu que les dirigeants du Sud jouent le jeu et que les pays du Nord ne confisquent pas la démarche pour écouler leurs surplus ou briser une concurrence naissante. Il y a donc beaucoup à faire pour l’OMC, maintenant qu’elle a survécu !

GUY LEGRAND

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