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Ambition et congélation

Le titre faisait la Une du dernier Businessweek : “Freeze your eggs, free your career” (“Congelez vos ovules, libérez votre carrière”). Après tout, pourquoi pas ? Plutôt que de se mettre la pression pour 1. trouver le partenaire idéal et 2. concilier vies professionnelle et familiale, autant congeler quelques ovules en attendant des jours meilleurs. Gravir les échelons de la hiérarchie sans s’encombrer d’un marmot à aller chercher à la crèche et attendre d’être bien installée dans son fauteuil de patronne pour fonder une famille.

Le monde du travail serait-il à ce point cruel ? Tout porte à le croire. D’autant que le phénomène n’est pas qu’américain : en juillet 2009 déjà, l’UZ Brussel annonçait avoir procédé à la première congélation d’ovules chez une femme célibataire et en bonne santé, la technique étant jusque-là réservée aux patientes cancéreuses ou atteintes d’un trouble de la fertilité. Seule restriction cependant : que les ovules congelés soient réimplantés avant le 47e anniversaire de la femme, qui constitue la limite d’âge légale pour la FIV (fécondation in vitro) en Belgique.

Miracle ou aberration scientifique ? Progrès ou désastre social ? S’il est vrai que la technique paraît révolutionnaire, elle soulève en effet pas mal de questions. La première : faut-il, au nom de l’égalité entre les sexes, aller jusqu’à contrer la nature ? Certes, pour l’entreprise, il est préférable de pouvoir compter sur des ressources disponibles à 100 %, surtout au moment où l’on investit le plus en elles. Mais d’un point de vue sociétal, est-il souhaitable de voir les générations s’éloigner de la sorte, alors que le vieillissement de la population met déjà en péril notre système de solidarité ? La réponse est plus que probablement négative. Enfin, d’un point de vue individuel, il n’est pas certain qu’une maternité tardive soit — physiquement et psychiquement — si épanouissante… ni pour la mère, ni pour l’enfant. Deux générations malades, voilà ce que risque d’engendrer ce genre de progrès scientifique. Mais il ne faudra malheureusement plus compter sur la sécurité sociale pour les soigner.

Seconde question : pour lever une discrimination entre genres, n’en crée-t-on pas une autre, financière cette fois ? Car on ne congèle pas un ovule comme on congèle un fish-stick. Le traitement, hormonal et chirurgical, est lourd… et extrêmement coûteux. Aux Etats-Unis, pour postposer la maternité, il faut débourser quelque 10.000 dollars. Un luxe, même pour celles pétries d’une ambition dévorante. Qui laisse penser que seules les nanties pourront se lancer dans cette course effrénée vers la réussite en se prétendant égales à leurs collègues masculins. Et que le progrès scientifique aura tôt fait de se mettre au service d’un juteux business.

Troisième et dernière question, d’ordre plus philosophique cette fois : que ne ferait-on pas pour de la reconnaissance sociale ? Certes, le combat pour l’égalité entre hommes et femmes au travail est légitime. Mais le vrai combat n’est-il pas d’abord de faire accepter la différence fondamentale qui existe entre eux ? Pour cela aussi, il faut de l’ambition. Et congeler ses ovules, ça n’est pas nécessairement en faire preuve.

CAMILLE VAN VYVE

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