28.000 milliards de dollars en plus grâce à l’égalité hommes-femmes

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Si le monde comptait autant de femmes actives dans l’économie que d’hommes, le PIB global progresserait de 28.000 milliards de dollars d’ici à 2025, selon une étude du McKinsey Global Institute. Décryptage en 4 questions-clés, au moment où le Women’s Forum ferme ses portes à Deauville.

Les femmes composent certes la moitié de l’humanité en âge de travailler, mais elles ne produisent que 37% du produit intérieur brut mondial. Le paradoxe est évident… tout comme les (nombreuses) inégalités qui l’ont engendré. Tel est le constat de base d’une étude baptisée Women in the Workplace, publiée en septembre dernier par le McKinsey Global Institute, et sur laquelle il paraît bon de revenir en ce jour de clôture du Women’s Forum à Deauville.

La conclusion de cette étude avait de quoi étonner par son ampleur. Seules 64% des femmes en âge de travailler participent à l’économie, pour 95% des hommes. Si la proportion féminine atteignait le niveau de son homologue masculine, cela engendrerait une augmentation radicale du PIB mondial : +26%, soit 28.000 milliards de dollars supplémentaires, d’ici à 2025. Un montant équivalent au poids économique combiné des Etats-Unis et de la Chine.

28.000 milliards de dollars en plus : ce scénario est-il réaliste ?

Les experts du McKinsey Global Institute (MGI) ne sont toutefois pas dupes : “Parvenir à la parité dans le monde du travail n’est pas réaliste à court terme”, écrivent-ils dans leur étude. “Cela impliquerait non seulement d’abattre de gigantesques barrières et de changer les comportements sociaux, mais aussi de modifier les choix personnels concernant la façon dont chacun souhaite répartir son temps entre activité domestique et marché du travail.”

C’est pourquoi MGI a développé un second scénario de réduction des inégalités hommes-femmes, dans lequel toutes les nations d’une région donnée du monde combleraient ce fossé au même rythme que la meilleure d’entre elles. Résultat : un coup de fouet du PIB global de 12 millions de dollars en 2025, et un doublement du PIB produit par des femmes par rapport à la situation actuelle. En Europe de l’Ouest, par exemple, tous les pays devraient suivre l’exemple de l’Espagne qui a, entre 2003 et 2013, réduit le fossé en matière de participation à l’économie de 1,5 point de pourcentage par an. A ce rythme, 74% des femmes en âge de travailler seraient professionnellement actives en 2025, soit 10 points de pourcentage de plus qu’aujourd’hui.

Comment mettre concrètement fin aux inégalités professionnelles hommes-femmes ?

Comment MGI est-il parvenu à cet objectif de 28.000 milliards de dollars ? En matière de travail, les femmes souffrent de plusieurs facteurs qui les désavantagent par rapport aux hommes. Ce PIB supplémentaire serait produit :

– à 54% en augmentant les rangs des travailleuses, actuellement (beaucoup) moins nombreuses que les hommes ;

– à 23% en permettant aux femmes de prester davantage d’heures qu’aujourd’hui – nombre d’entre elles travaillent à temps partiel, que ce soit par choix ou à cause de leurs responsabilités “hors marché du travail” (principalement la famille et les tâches domestiques) ;

– à 23% en leur ouvrant les portes de secteurs à plus forte productivité (les services aux entreprises, par exemple), plutôt que de les voir largement cantonnées aux secteurs pauvres en productivité, tels que l’agriculture.

L’importance de ces trois facteurs varie bien entendu selon les régions. En Europe de l’Ouest, la moitié environ de l’impact total serait produite en intervenant sur le second facteur, celui des heures de travail. En Afrique sub-saharienne comme en Asie centrale, en revanche, 40% à 45% de cet objectif serait atteint en améliorant le troisième facteur.

Si l’on donne davantage d’emplois aux femmes, n’augmentera-t-on pas le chômage des hommes ? Cela ne risque-t-il pas d’annuler le bénéfice de l’opération ?

Cette question est peut-être la première qui vient à l’esprit en abordant l’étude du McKinsey Global Institute. “Ces estimations se basent sur l’absence de déclin de la participation masculine à l’économie suite à l’augmentation du nombre de femmes sur le marché du travail”, répondent les experts maison.

Pour preuve, “entre 1980 et 2010, dans 60 pays du monde, le taux de participation des femmes en âge de travailler a progressé de 19,7%, tandis que la participation masculine baissait de 1,5%. Les bénéfices tirés d’une participation féminine accrue à l’économie n’ont été que très faiblement annulés par le nombre d’hommes quittant le monde du travail.”

Le second scénario de MGI – ce qu’il appelle le “best-in-region scenario” – verrait ainsi 240 millions de nouveaux travailleurs arriver sur le marché d’ici à 2025. Faut-il s’en inquiéter ? On pourrait craindre que des économies déjà en difficulté peinent à absorber ces nouveaux-venus.

Les experts de McKinsey se veulent rassurants : “L’arrivée de femmes sur le marché du travail représenterait un bénéfice certain pour les nations pâtissant du vieillissement de leurs populations, élément qui pèse sur leurs bassins d’emploi et, partant, sur leur économie.” La Russie, par exemple, devrait perdre 5 millions de travailleurs entre 2014 et 2025 (de 76 à 71 millions), contre 2 millions de moins pour le Japon (de 65 à 63 millions). Avec le “best-in-region scenario”, ces niveaux se maintiendraient à 74 et 64 millions respectivement.

Bien entendu, un transfert massif de travailleuses vers des secteurs à haute productivité entraînerait des problèmes de main-d’oeuvre. Ce qui, en retour, exigerait des investissements pour améliorer la productivité de l’agriculture, par exemple, mais aussi “des efforts de la part des gouvernements, afin de mettre fin aux obstacles décourageant la création d’emplois productifs et la formation de capital humain – non seulement pour les femmes, mais pour l’ensemble de l’économie”.

Les conclusions de McKinsey sont-elles identiques à celles des autres études menées sur les inégalités hommes-femmes ? Si non, pourquoi ?

Plusieurs études publiées ces dernières années vont dans le même sens, même si le rapport de MGI les dépasse toutes sur le plan des effets potentiels sur le PIB. En septembre 2013, le Fonds monétaire international avait ainsi dévoilé les conclusions d’un rapport baptisé Women, Work, and the Economy, selon lesquelles, si le nombre de femmes au travail était porté au même niveau que celui des hommes, le PIB progresserait de 34% en Egypte, de 12% aux Émirats arabes unis, de 9% au Japon et de 5% aux Etats-Unis.

Christine Lagarde, directrice générale du FMI, mettait alors l’accent sur les responsabilités des gouvernements en la matière : “La politique fiscale, la politique des dépenses ainsi que la réglementation du marché du travail peuvent être réformées de manière à accroître l’emploi des femmes. Par exemple, imposer le revenu individuel plutôt que familial – dans de nombreux pays, l’imposition du revenu familial signifie un taux marginal plus élevé pour le deuxième salaire d’un ménage – encouragerait les femmes à chercher un emploi.”

L’établissement d’un lien entre les prestations sociales et la participation au marché du travail, à une formation ou à un programme actif peut également contribuer à accroître l’emploi des femmes, concluait le FMI, “de même que l’existence de services de garde d’enfants de qualité et à un prix abordable, et des possibilités accrues de congé paternel et maternel”.

L’année précédente, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sortait son propre rapport intitulé Inégalités hommes-femmes, il est temps d’agir. Aux yeux des experts de l’OCDE, une convergence totale des taux d’activité des hommes et des femmes permettrait d’accroître le PIB de 12% en 20 ans, nettement moins que les projections de McKinsey.

MGI reconnaît que les bénéfices sur lesquels il table représentent en moyenne le double de nombreuses autres enquêtes. Pourquoi cette différence ? “La plupart de ces études portent exclusivement sur la participation à l’économie”, peut-on lire dans son rapport. Alors que les experts de MGI ont déployé un éventail de 15 indicateurs-clés de l’égalité hommes-femmes, afin d’obtenir une vision plus large de ce problème fondamental et, partant, des résultats amplifiés.

Et la Belgique ?

Notre pays n’est pas trop mal classé dans l’étude du McKinsey Global Institute. Les femmes belges jouissent notamment d’une meilleure participation à la vie politique que celles d’autres pays européens (Autriche, Grève, Irlande et Luxembourg, pour ne citer qu’eux). En termes d’égalité hommes-femmes, nous occupons plutôt le haut du panier, et sommes par exemple très proches de la Suède si l’on en croit le Gender Parity Score attribué par MGI. La Belgique affiche une répartition des tâches domestiques plus favorable aux femmes que la moyenne mondiale, puisque ces tâches relevant de la catégorie “unpaid care work” sont assurées à 62% “seulement” par les femmes belges, contre une moyenne mondiale de 75%. Un résultat certes inférieur à celui du Danemark (57%), de la Finlande (59%) et du Canada (61%), mais égal à celui de l’Allemagne et de la France. Notre pays est enfin cité en exemple pour avoir passé une loi exigeant, des entreprises de plus de 50 travailleurs, qu’elles étudient en leur sein les différences salariales liées au sexe et qu’elles développent des plans d’action afin de régler les éventuels problèmes constatés.

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