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1973 : la catastrophe de l’emprunt Giscard

En ces périodes monétaires troublées, nombreux sont ceux qui invoquent un retour à l’étalon-or, à l’instar du système de Bretton Woods qui présida à l’unification monétaire occidentale entre 1944 et 1971.

En ces périodes monétaires troublées, nombreux sont ceux qui invoquent un retour à l’étalon-or, à l’instar du système de Bretton Woods qui présida à l’unification monétaire occidentale entre 1944 et 1971. Ces accords de Bretton Woods furent probablement la plus grande réalisation économique du 20e siècle. Consacrés avant la victoire alliée sur le Japon et l’Allemagne, ils portèrent sur les fonts baptismaux les 30 années glorieuses (1944-1974). Les accords de Bretton Woods postulaient une parité fixe entre les monnaies des pays développés, fondée sur l’étalon-or.

Ce système, qualifié de Gold-Exchange Standard, définissait les devises dans un rapport au dollar, qui était lui-même rattaché à l’or. Dans ce système, les différentes monnaies furent formulées par des cours de change fixe, mais il était convenu que la convertibilité des dollars en or ne soit pas mise en oeuvre. En d’autres termes, les Etats-Unis exigèrent que les Banques centrales étrangères, détentrices de dollars, ne réclament pas leur conversion en or. Ce système conduisit à établir la suprématie du dollar sur l’économie mondiale, puisque la croissance et l’inflation étaient définies par ce pays. Le Fonds Monétaire International fut créé afin de surveiller les politiques nationales.

Pourtant, en août 1971, le président américain Richard Nixon décida de suspendre la convertibilité en or du dollar, ouvrant ainsi le champ à une monnaie purement fiduciaire et à l’explosion des dettes publiques. Le système de Bretton Woods fut définitivement enterré en 1973 avec l’adoption du régime des changes flottants, confirmé par les accords de la Jamaïque, en 1976. Face à cette situation, les pays européens traversèrent plusieurs années de chaos monétaire, caractérisées par la création de l’éphémère serpent monétaire (1972-1978) puis par la fondation du Système monétaire (SME) en mars 1979, qui déboucha sur la monnaie unique 20 ans plus tard.

Prolongations aurifères

Pourtant, un pays européen décida de jouer les prolongations aurifères, à savoir la France. C’est en 1973 que Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des Finances de Georges Pompidou, lança un emprunt indexé sur le poids en or du franc. Le choix de cette indexation reflétait la perception de la stabilité du prix de l’or, qui avait été la clé de voûte du système monétaire pendant 30 ans.

L’emprunt fut une ruine pour le Trésor français. Non seulement son taux d’intérêt, soit 7 %, dépassait tout entendement, mais l’emprunt vit sa valeur croître à cause de la dévaluation du franc et de la croissance du prix de l’or. Finalement, pour 6,5 milliards de francs empruntés pour 15 ans, l’Etat français dut rembourser plus de 90 milliards de francs (intérêts compris). Le coût de l’emprunt fut d’ailleurs plutôt lié à la dépréciation du franc par rapport au dollar qu’à l’appréciation du cours de l’or, qui passa de 97 à 437 dollars l’once entre 1973 et 1988, avec une pointe, heureusement gommée, en 1980, lorsque l’URSS envahit l’Afghanistan.

Quelle leçon tirer de l’emprunt Giscard, au-delà du fait qu’il fut une passerelle fragile entre un étalon-or qui avait sombré et une immersion dans un monde de monnaie-papier qui est intrinsèquement fragile, puisque liée à la discipline hasardeuse des Etats ? Avec le recul du temps, il est insensé de lier une masse monétaire à un stock aurifère, d’autant que si l’or est convertible en monnaie papier, le rapport de conversion reste toujours un privilège discrétionnaire des autorités publiques. Un étalon monétaire présente aussi l’inconvénient de contraindre excessivement les politiques monétaires et fiscales conjoncturelles. Pourtant, un étalon-or a le mérite de discipliner les Etats. D’ailleurs, dès que les accords de Bretton Woods furent démantelés à l’initiative des Etats-Unis, les Etats européens s’engouffrèrent dans une politique d’endettement indisciplinée, qui consista à alourdir les finances publiques pour masquer la mutation économique des années 1970.

Mais il y a sans doute une autre leçon à tirer, d’une envergure plus inquiétante et aux résonnances contemporaines : un Etat qui possède le droit de battre monnaie sans la contrainte d’une garantie tangible, c’est-à-dire un Etat qui imprime des billets dont la seule garantie est l’existence des billets qui seront imprimés dans le futur, est toujours à la frontière d’un dévoiement de sa propre monnaie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’endettement public est foncièrement incompatible avec la stabilité monétaire, et par ailleurs porteur d’inflation. Cette perspective d’inflation conduit à l’appréciation de monnaies informelles et parallèles, tel l’or.

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