Après deux ans de gestation, l’envol d’Air Belgium

© ROBERT VAD

La nouvelle compagnie aérienne belge a lancé ses premières fréquences entre la Belgique et Hong Kong. A sa manière, sans recourir aux codes des low cost. En faisant le pari de se baser à Charleroi, dont ce sont les premiers longs-courriers.

Il était ému, Jean-Jacques Cloquet, le patron de l’aéroport de Charleroi, à bord du vol inaugural d’Air Belgium vers Hong Kong, début juin. Cette première destination, qui en annonce d’autres vers la Chine continentale, représente une étape symbolique pour un aéroport qui était jusqu’ici cantonné aux vols low cost européens. ” Cela fait quelque chose de voir le nom de Charleroi entre Taipei et Chicago sur les panneaux d’affichage de l’aéroport de Hong Kong “, avoue le CEO de l’aéroport belge.

Le concept d’Air Belgium

La compagnie a été fondée par Niky Terzakis, ancien patron de TNT Airways, un transporteur de fret basé à Liège. Elle vise le long-courrier, avec une priorité sur la Chine. Le point de départ a été la demande de professionnels du tourisme chinois, qui peinaient à trouver des sièges en suffisance vers l’Europe, surtout pour de grands groupes de 40 personnes. En participant à la création d’une compagnie (1), ces professionnels s’assurent un volume de sièges toute l’année. Niky Terzakis a vu dans cette demande la possibilité de bâtir une compagnie qui visera aussi le marché des voyageurs européens, toujours plus friands de vols vers la Chine.

Il n’a toutefois pas suivi la tendance actuelle des nouvelles compagnies longs- courriers, qui sont toutes peu ou prou low cost, comme Norwegian. Air Belgium conserve tous les codes de la compagnie régulière, sans céder à la tentation de faire payer les bagages en soute et les repas à bord. ” Nous ne faisons pas du low cost, mais du low fare “, aime répéter le CEO. Le tarif vers Hong Kong, à partir de 449 euros, est effectivement environ 30 % moins cher que celui de Cathay Pacific au départ de Bruxelles.

Une classe affaires compétitive

Après deux ans de gestation, l'envol d'Air Belgium
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L’offre est compétitive pour la classe business car Air Belgium espère bien toucher une clientèle d’affaires, en Belgique, au Luxembourg, dans le nord de la France. Et en Chine. ” Une classe business à 1.800 euros, c’est intéressant “, reconnaît Jean-Marc Van Bever, CEO de la société Prodiled, passager sur le vol inaugural. Celui-ci distribue en Belgique des écrans LED géants provenant de Shenzhen (près de Hong Kong). Il a notamment équipé Docks Bruxsel et se rend plusieurs fois par an en Chine. En général en classe économique, via Dubaï. ” Sur les compagnies du Golfe, les sièges business se paient plutôt 3.000 euros “, précise-t-il. Ce patron de PME rechigne à payer ce tarif, sauf parfois au retour, pour profiter des sièges couchettes, et éventuellement en utilisant les miles de son programme de fidélité.

Pour ce voyage inaugural, l’Airbus A340 n’était pas encore configuré dans la version finale voulue par Niky Terzakis. Mais d’ici novembre, la flotte devrait compter une classe intermédiaire, premium, qui vise les PME, avec des sièges plus larges et plus spacieux (12,7 cm de plus pour les jambes) qu’en économique, mais pas aussi grands que ceux de la classe business et sans la fonction couchette. La premium est vendue sur Hong Kong (aller-retour) à partir de 999 euros.

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Un intérieur anti-Ryanair

Auparavant opérés par Finnair pendant une dizaine d’années, les avions sont loués à Airbus. La flotte compte actuellement deux Airbus A340 et va passer à quatre d’ici septembre. L’aménagement final, avec la classe premium, comptera 303 sièges (246 sièges éco, 21 premium et 18 affaires). Air Belgium n’a pas lésiné sur la décoration. C’est déjà bien visible de l’extérieur : la compagnie a étiré les couleurs nationales tout le long du fuselage et placé des couronnes royales sur l’empennage et les réacteurs. Difficile de faire plus belge… A l’intérieur, le design est plus discret. C’est l’anti-Ryanair : pas de couleurs criardes, mais un gris apaisant, décliné sur les sièges et les parois, avec une touche de rouge pour le logo.

Les sièges sont encore ceux de Finnair, qui ont été rénovés. Ceux de la classe affaires s’avèrent moins sophistiqués que sur Brussels Airlines mais offrent un bon confort, avec une véritable position couchée ( flat bed). Les sièges en économique sont similaires à l’équipement des compagnies régulières traditionnelles, avec un espace comparable pour les jambes à celui d’un Airbus A340 de Lufthansa.

Spécialités belges

Côté service, Air Belgium fait honneur à son nom avec, en classe business, un menu très belge (asperges à la flamande, notamment) et uniquement des vins belges (Bulles pour lui, du domaine de Mellemont, Bon Baron, en rouge, ou Terre Charlot du Château de Bioul, en blanc). Les passagers peuvent également déguster nos bières : de la Duvel en version mini (18 cl) ou de la Vedett. Côté alcools, c’est du whisky et du gin belges qui sont servis (Belgian Owl et Gin Apotek). Pour finir sur une note sucrée avec les chocolats Leonidas et Galler.

Niky Terzakis et son équipe – juste une centaine de personnes, bientôt 300 – sont donc parvenus à construire une compagnie, une marque et une ambiance en quelques mois. Avec des moyens limités : la compagnie dispose juste d’un capital de 20 millions d’euros et d’un soutien bancaire.

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Quel est le “business model” ?

Comment Air Belgium peut-elle gagner de l’argent ? ” Je sais, il y a toujours beaucoup de scepticisme en Belgique quand on lance une compagnie aérienne, déplore Eric Bauche, président du conseil d’administration. J’ai connu cela lorsque SN Brussels Airlines a été lancée. J’en ai été un temps administrateur car la SRIW faisait partie des actionnaires, l’initiative faisant suite à la chute de Sabena en 2001. On entendait alors : ils ne vont pas y arriver, ça ne marchera jamais… On a tout entendu ! ” Les faits ont contredit ces oiseaux de mauvais augure : SN Brussels Airlines a rapidement dégagé un bénéfice. ” Les Belges ont de grandes compétences dans l’aérien “, ajoute Eric Bauche.

Air Belgium a développé un modèle avec un large éventail de recettes ( voir l’infographie ci-jointe). La base est constituée par la clientèle des voyagistes chinois, réunis par UTour (Bejing). Air Belgium vise aussi une clientèle plus large, en Europe, ce qui explique le soin à construire un modèle de compagnie régulière, à développer trois classes, ainsi que le cargo (14 tonnes de charge utile).

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Pourquoi un démarrage tardif ?

Air Belgium a pris un an de retard sur son plan de départ. Son histoire ressemble à un long teasing. Le moment le plus délicat a été le report du lancement de la ligne Charleroi-Hong Kong du 30 avril au 3 juin alors que les vols étaient déjà commercialisés, faute d’un accord pour survoler la Russie. Ce couac a rendu la compagnie plus prudente. Elle s’abstient d’annoncer trop vite les futures destinations vers des villes de Chine continentale avant d’avoir verrouillé tous les accords.

A la décharge d’Air Belgium, créer une compagnie et ouvrir des lignes vers la Chine est un exercice compliqué. Rien à voir avec la création d’une compagnie pour relier des villes au sein de l’Union européenne, où les liaisons sont libéralisées. Pour la Chine, la diplomatie belge doit intervenir, les liaisons relevant d’accords bilatéraux à négocier entre Etats. Même chose pour les droits de survol des pays hors Union européenne, comme la Russie. Chaque pays défend ses compagnies et les discussions peuvent être longues. Ces retards ont permis à la concurrence d’attaquer : Cathay Pacific a ouvert une ligne Bruxelles-Hong Kong en mars dernier. ” Cette compagnie hésitait, confie un diplomate belge, mais lorsqu’elle a appris qu’Air Belgium allait ouvrir une ligne sur Hong Kong au printemps, elle a accéléré sa décision. ”

Après deux ans de gestation, l'envol d'Air Belgium

Le pari de Charleroi

Partir de Charleroi n’était pas un choix évident, car l’aéroport n’est pas organisé pour le long-courrier. Sa piste est, pour le moment, un peu trop courte pour les vols lointains à pleine charge ( lire l’encadré ” Une nouvelle étape pour Charleroi ” plus bas). Air Belgium fait le pari à moyen terme que Charleroi peut devenir un aéroport long-courrier très pratique. Brussels South Charleroi Aiport va en effet investir dans des installations (piste et bâtiments) adaptées au long-courrier, développer une infrastructure pour des correspondances et a déjà fait provisoirement des travaux pour assurer le lancement des vols intercontinentaux. Il a ainsi ouvert un lounge aux couleurs d’Air Belgium pour les voyageurs business et premium (400.000 euros d’investissements, hors meubles).

Niky Terzakis estime que Charleroi possède déjà un grand avantage : l’accès rapide à l’aéroport en voiture, ” surtout quand vous venez du côté de Lille, de Valenciennes, de Luxembourg ; Zaventem est hors de portée et Charleroi est plus aisé “, dit-il. L’aéroport est connu des voyageurs de loisirs, moins des voyageurs d’affaires. Air Belgium proposera d’aller les chercher chez eux ou à leur bureau, moyennant un supplément (en business ou premium). ” Nous avons réalisé des enquêtes à ce sujet, dit-il. Ça pourrait bien marcher. ” Mais l’argument suprême est, dans un futur proche, l’accès très rapide à l’avion : ” 15 à 20 minutes entre le parking et la passerelle pour la clientèle affaires et premium , avance Niky Terzakis, contre deux bonnes heures pour les grands aéroports. On va mettre en place un parking sécurisé auquel le voyageur aura accès avec sa carte d’embarquement “.

Côté destinations, la compagnie prévoit de développer dans un premier temps des lignes vers la Chine continentale. Elle négocie des correspondances au départ de Hong Kong, l’un des premiers aéroports mondiaux, vers d’autres pays asiatiques (Corée), vers l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ensuite, la compagnie envisage des destinations vers d’autres continents comme l’Amérique du Nord, du Sud, voire l’Afrique.

(1) L’actionnariat d’Air Belgium est majoritairement belge : Niky Terzakis (20%), la SRIW (12,5%), la SFPI (12,5%), Sabena Aerospace (5%) et des investisseurs chinois réunis dans la société Aviation Investment Holding, dont Peter Yip de Hong Kong.

Une nouvelle étape pour Charleroi

Jean-Jacques Cloquet enthousiasmé par l'envol d'Air Belgium
Jean-Jacques Cloquet enthousiasmé par l’envol d’Air Belgium© ROBERT VAD

Le lancement de la ligne vers Hong Kong marque une nouvelle étape pour l’aéroport de Charleroi. Le trafic long-courrier peut à la fois contribuer à la croissance de la fréquentation et à la diversification de cette plateforme fort dépendante de Ryanair. Brussels South Charleroi Airport (BSCA) a accueilli 7.698.767 passagers en 2017 (+ 5,4%) et continue à croître (+ 8 % en avril). Air Belgium promet 500.000 passagers de plus par an. Son démarrage attire l’intérêt d’autres compagnies longs-courriers. L’aéroport va connaître deux développements majeurs. Il va entreprendre l’allongement de la piste de 2.550 à 3.200 mètres d’ici l’été 2021, la longueur actuelle limitant la charge au décollage pour les gros porteurs. Ensuite, un plan de développement va être mis à l’étude pour agrandir les installations d’accueil des passagers, trop exiguës aux heures de pointe. ” Un appel d’offre pour un masterplan va être lancé “, indique Jean-Jacques Cloquet, CEO de l’aéroport. L’étude balisera les développements des installations, dont l’aérogare, pour 2020, 2025 et 2035 (étapes ” start “, ” grow “, ” dream “), avec un objectif à 10 millions de passagers.

Un nouvel actionnaire privé ?

Un élément clé est l’arrivée possible d’un nouvel actionnaire privé. ” Nous allons voir quel investisseur pourrait venir, en fonction de son engagement sur le plan de développement “, précise le ministre de tutelle des aéroport wallons, Jean-Luc Crucke, qui assure avoir reçu des marques d’intérêt. ” Les plaques tectoniques bougent “, ajoute-t-il. Pour l’heure, le capital de la société concessionnaire de l’aéroport, BSCA, compte un actionnaire privé à hauteur de 27,6 %, Belgian Airport, contrôlé par l’italien Save, qui possède les aéroports de Venise et de Trévise. La relation est difficile : Save pourrait revendre. Un autre professionnel des aéroports pourrait lui succéder.

L’architecte belge du bambou

Après deux ans de gestation, l'envol d'Air Belgium
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La ligne Charleroi-Hong Kong devrait intéresser la petite communauté belge de Hong Kong. ” Elle compte entre 1.400 et 1.700 personnes “, estime Michèle Deneffe, consule générale de Belgique à Hong Kong et Macau. La Belgique exporte environ pour 2 milliards d’euros vers ce territoire. Parmi les Belges établis à Hong Kong, certains ont acquis une certaine notoriété, comme Kristof Crolla, 37 ans, et son Laboratory for Explorative Architecture and Design (Lead). Cet architecte formé à Gand, qui a travaillé pour Zaha Hadid Architects (Londres), exploite depuis 2010 les ressources chinoises pour ses installations, notamment le bambou. Ses installations deviennent des ” quasi sculptures “, selon lui. Il a notamment réalisé en 2015 un pavillon pouvant accueillir 350 personnes pour le Construction Industry Council de Hong Kong en recourant à l’artisanat cantonnais des échafaudages de bambou ( photo). Ce pavillon de bambou montre comment marier un artisanat en voie de disparition à des technologies de simulation informatique. Kristof Crolla enseigne à la Chinese University of Hong Kong. Une de ses oeuvres les plus spectaculaires a aussi été très éphémère : Goldon Moon, dans le parc Victoria, une structure en bambou en forme de lanterne chinoise géante, érigée pour six jours, en 2012. ” Elle a attiré plus de 400.000 personnes “, se souvient-il.

www.l-e-a-d.pro

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