Taxe kilométrique: quel bilan tirer après deux ans ?

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Après un démarrage difficile en 2016, le péage kilométrique pour les poids lourds est un succès. Il rapporte des millions aux Régions et son organisation est un exemple de coopération entre entités fédérées. Déclinable pour d’autres types de véhicules en Belgique et même en Europe.

“Nous avons la visite de plusieurs autorités d’autres pays de l’Union européenne pour voir comment fonctionne le prélèvement kilométrique pour poids lourds en Belgique, expose Johan Schoups, administrateur délégué de Viapass, l’autorité qui contrôle le dispositif. Comme Belges, nous ne sommes pas assez fiers, mais nous sommes pourtant au top du péage en Europe. ”

En fonction depuis avril 2016, un péage par satellite a été instauré pour les poids lourds de plus de 3,5 tonnes, c’est le dispositif du genre le plus avancé en Europe. Une technologie de péage virtuel, permettant aux autorités publiques d’ajouter et d’enlever à leur guise des axes soumis à péage, sans devoir changer l’infrastructure.

Les bonnes recettes des Régions

Il s’agit du premier système de péage ouvert en Europe. Plusieurs fournisseurs peuvent proposer leur terminal mobile, calculer et facturer le péage. L’intérêt étant une concurrence sur la qualité du service. ” Un parallèle peut être fait avec le roaming existant pour la téléphonie mobile “, poursuit Johan Schoups. Une perspective souhaitée par la Commission européenne, qui se met très lentement en place. L’idée est d’intégrer à terme tous les péages, y compris ceux de tunnels ou de ponts, et de les payer grâce à un seul terminal.

Les Régions sont plutôt satisfaites. ” Le système rapporte même un peu plus que ce qu’on avait projeté “, avance Jean-Luc Crucke, ministre wallon du Budget (MR). Pour 2017, la Wallonie a reçu 241,5 millions d’euros, sur un total national de 676 millions d’euros. Cette recette brute, avant déduction des frais de collecte et de contrôle, tombe dans les caisses de la Sofico, société publique wallonne gérant notamment les autoroutes. A Bruxelles et en Flandre, l’argent tombe dans le budget régional, à hauteur de respectivement 424,4 et 10,1 millions d’euros. Quatre fois plus que l’Eurovignette imposée auparavant.

Les camions étrangers majoritaires

L’objectif à peine voilé de faire payer les camions étrangers de passage en Belgique est atteint. La majorité des recettes – 54 % exactement – est générée par des camions étrangers.

Les grincements de dents du lancement sont loin. En avril 2016, l’entrée en vigueur du prélèvement kilométrique pour les poids lourds avait été rude. Les journaux télévisés montraient des files de camions aux frontières, et des blocages de route par des camionneurs furieux. La France avait renoncé peu avant à un péage similaire, beaucoup de transporteurs pariaient sur un report. Ils n’avaient pas commandé de terminaux à installer dans les camions, les OBU. Le jour du lancement, pour éviter l’amende de 1.000 euros promise aux camions contrevenants, ces transporteurs se sont précipités aux distributeurs automatiques d’OBU installés aux frontières. D’où une fameuse cohue. ” Chaque camion mesure facilement 15 mètres de long, il n’en fallait pas beaucoup pour générer de grandes files “, relativise Johan Schoups.

Johan Schoups, administrateur délégué de Viapass
Johan Schoups, administrateur délégué de Viapass” La Belgique est au top du péage en Europe. “

2,4 millions de recettes par jour ouvrable

Aujourd’hui, il n’y a plus de files. ” Le système est stable “, avance Johan Schoups. Pourtant, ça roule fort : plus de 140.000 poids lourds chaque jour ouvrable, générant alors 2,4 millions d’euros de recettes quotidiennes. Les couacs de certains OBU disfonctionnels se sont estompés, ils pouvaient entraîner des amendes indues.

” Ce qu’on nous a vendu comme des maladies de jeunesse s’est stabilisé “, reconnaît Michael Reul, secrétaire général de l’UPTR, l’association de transporteurs qui s’est montrée la plus virulente contre le prélèvement kilométrique. ” Après deux ans, il tourne comme il faut. ” Michael Reul se concentre maintenant sur la question des amendes réclamées en 2016 et 2017 par les Régions ( lire l’encadré “Amendes corrigées” plus bas), qu’il juge souvent injustifiées.

Il indique que la taxe kilométrique n’a pas eu d’impact sur le trafic de camions, ” qui est indexé sur la croissance économique “. Et même mieux, car la croissance enregistrée est plus élevée que la hausse du PIB : + 3,4 % pour le kilométrage parcouru, selon Viapass, et + 4,1 % pour les montants des péages perçus par les Régions (données d’avril à mars 2016-2017 vs données d’avril à mars 2017-2018, car il n’est pas possible de comparer les années calendaires, le service n’ayant démarré qu’en avril 2016).

Un modèle à multiplier ?

En fait, le dispositif est devenu un modèle, une lueur d’espoir sur la manière dont les Régions peuvent coopérer sur les compétences dont la décentralisation a entraîné une cacophonie. Ces dernières années, la gestion isolée de dossiers comme la mobilité a créé des situations absurdes, tel l’enlisement du projet du RER. Ce dernier ne concerne pas que le train, il supposait une vaste coopération entre les sociétés régionales de transports en commun, qui a été oubliée.

En effet, le prélèvement kilométrique est géré par une société privée, Satellic, qui dispose d’une concession de 12 ans (prolongeable trois fois un an) et qui installe et opère l’infrastructure du péage kilométrique sur tout le pays. Elle est contrôlée par Viapass, un animal institutionnel d’un genre nouveau, une entité interrégionale. Chaque région conserve le pouvoir de fixer les tarifs, de changer les routes soumises au prélèvement, et se charge des contrôles et des amendes pour les camions qui ne sont pas en ordre. Satellic gère en fait trois domaines de péages sous un même nom.

La formule intéresse certains politiques. ” Je ne suis pas opposé à un travail commun plus poussé, on pourrait décliner le principe sur d’autres compétences régionalisées, assure le ministre du Budget wallon. Cela peut éviter les coûts superflus, tout en permettant de rester partisan d’une régionalisation plus poussée. ” Le dispositif Viapass avec une société privée concessionnaire lui convient bien. Le ministre wallon ne donne pas d’exemple, mais les cas où les compétences régionalisées gagneraient à mieux se coordonner pullulent dans la mobilité, comme le RER.

Péage pour les voitures envisagé et contesté

Quelque 800.000 camions sont équipés d'un terminal embarqué (appelé OBU pour
Quelque 800.000 camions sont équipés d’un terminal embarqué (appelé OBU pour ” on board unit “). Celui-ci permet de relever les kilomètres parcourus.

Une des matières supplémentaires qui pourrait être gérée par le dispositif Viapass/Satellic est un péage kilométrique pour les automobiles. La Febiac et la FEB la souhaitent, pour combattre les embouteillages, en remplaçant les taxes de circulation par un prélèvement par kilomètre.

Il semble toutefois que les Régions ne s’accordent pas sur le principe, la Flandre est partisane, contrairement à la Wallonie. Sur ce point, Jean-Luc Crucke estime que le péage kilométrique n’a pas de sens pour l’automobile en Wallonie. ” Si cela vient sur le plan européen, on ne peut l’exclure, nuance-t-il. Mais la géographie de la Flandre, de Bruxelles et de la Wallonie est différente, les deux premières sont très urbaines. ” L’objectif visé, à savoir lutter contre les encombrements, ne concerne guère la Wallonie, où ” cela constituerait un coût supplémentaire inutile “.

L’unanimité étant requise pour que les Régions chargent Viapass et Satellic de cette nouvelle tâche, les chances de voir le péage kilométrique pour les autos se réaliser sont pour l’heure fort minces. Un dispositif de type Viapass/Satellic pour gérer la coopération entre les Régions suppose un accord minimal sur les objectifs. Satellic et Viapass sont néanmoins prêts. ” Cela relève d’une décision politique “, estime Johan Schoups, qui rappelle aussi que c’est une tâche d’une autre dimension. ” Environ 800.000 camions sont équipés d’un OBU, il y a plus de 5,6 millions d’automobiles en Belgique. ”

L’approche Viapass/Satellic est envisageable dans d’autres pays. Par exemple, l’Allemagne, qui a été pionnière dans le péage électronique des camions, en le lançant en 2005, va revoir le dispositif et attribuer une nouvelle concession. La contractant actuel, Toll Collect, et un cousin de Satellic, également filiale de Deutsche Telekom. Le dispositif, plus ancien, est plus rudimentaire : il ne calcule le péage que par tronçons, et non par kilomètres parcourus. Les camions sont repérés par des portiques qui servent à calculer le péage, alors qu’en Belgique, c’est l’OBU qui sert à calculer un péage par kilomètre. Les portiques ne servent qu’à contrôler les poids lourds et la présence d’un OBU en fonction dans le véhicule.

Les pièces du puzzle

Voici la recette pour construire un système interrégional de péage kilométrique :

1. Viapass. Association interrégionale chargée de mission de droit public. Basée à Molenbeek, elle est chargée par les Régions de coordonner et de contrôler le prélèvement kilométrique pour les véhicules de plus de 3,5 tonnes. Les Régions y envoient des administrateurs et versent chacune une dotation (1,36 million d’euros pour la Région flamande, 164.013 euros pour Bruxelles-Capitale, et 1,01 million d’euros pour la Région wallonne). Viapass occupe une dizaine de personnes.

2. Satellic. Société concessionnaire chargée d’installer et d’opérer une infrastructure pour percevoir un prélèvement kilométrique, en fournissant aux Régions les moyens techniques de débusquer les contrevenants, avec des portiques fixes ou mobiles. Satellic garantit la mise à disposition de terminaux embarqués (OBU), notamment disponibles dans des distributeurs aux frontières du pays. Satellic appartient à T-Systems, une filiale de Deutsche Telekom, et Strabag (Autriche). Le contrat de concession porte sur 12 ans, plus trois fois une année de prolongation optionnelle. Satellic facture ses services aux Régions (environ 115 millions d’euros par an). Satellic occupe une centaine de personnes.

3. Fournisseurs de service. Le système de prélèvement kilométrique belge est ouvert. Il est conçu pour que plusieurs fournisseurs puissent proposer leur terminal mobile (OBU), calculent, facturent les péages et paient les Régions. Satellic avait l’obligation de fournir ce service, mais n’en a pas le monopole. Il détient encore plus de 80 % de ce marché où les offres se bousculent : Axxès, Total, Eurotoll et Telepass sont actifs et deux sont en cours d’agréation (VAG et Toll4Europe). Avantage sur Satellic : des OBU multipays, pouvant calculer les péages à la fois en Belgique, France, Espagne, Italie, Portugal et, bientôt, en Allemagne.

4. Les Régions. Elles sont les commanditaires du système, qui ont sous-traité son fonctionnement à Satellic et sa régulation à Viapass. Elles décident des tarifs (7,5 cents par km à 29,7 cents par km, selon la Région, l’axe, le poids du véhicule et sa catégorie d’émission), ainsi que des routes à soumettre au prélèvement. Elles verbalisent également et imposent les amendes.

Amendes corrigées

Le sort des amendes en souffrance est le sujet qui fâche encore les associations de transporteurs routiers. Les Régions avaient frappé fort au départ, en prévoyant un tarif unique de 1.000 euros. ” Il s’agissait de décourager la fraude, explique Johan Schoups, administrateur délégué de Viapass. Depuis janvier, les Régions ont choisi de passer à un système graduel, allant de 100 à 1.000 euros. On s’est aperçu que le risque de fraude n’était pas aussi important. ” Il ne fallait pas faire payer 1.000 euros une erreur d’encodage…

” Cette évolution est positive, précise Michael Reul, secrétaire général de l’UPTR. Elle ne règle toutefois pas le sort des amendes imposées auparavant. ” En 2016 et en 2017, il estime que Bruxelles-Capitale et la Wallonie ont compté des amendes sans discernement, même quand la fraude supposée n’était due qu’à un terminal défectueux (OBU). Il reste un contentieux de 30 millions d’euros en Wallonie et de 10 millions à Bruxelles.

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