“Trump va-t-il s’arrêter là ou est-ce la première salve d’une offensive plus large ?”

Donald Tusk et Donald Trump © Xinhua

Les taxes à l’importation d’acier et d’aluminium, imaginées par Donald Trump, pourraient être la première salve d’une attaque en règle contre le multilatéralisme commercial. Nous avons posé trois questions à André Sapir, professeur d’économie à l’ULB.

L’Europe va-t-elle prendre rapidement des mesures pour contrer les taxes américaines à l’importation d’acier et d’aluminium ?

Je serais extrêmement étonné que l’Europe prenne des mesures de rétorsion unilatérales. Il faut avoir la sagesse d’éviter les réactions épidermiques qui nous conduiraient vers une escalade sans fin. Ce n’est pas simple car on ne peut pas, non plus, simplement se taire face à des dispositions qui nuisent à notre industrie et qui sapent le principe d’un marché ouvert et réglementé.

Je pense que l’Europe veillera à rester dans la légalité. Elle fait un peu de musculation avec cette liste de produits américains dont l’importation pourrait être taxée mais, à mon avis, elle optera plutôt pour une procédure devant l’Organisation mondiale du commerce, dans l’espoir que les taxes américaines à l’importation d’acier et d’aluminium soient jugées illégales. Cela prendra deux à trois ans mais, à la fin, un juge autorisera peut-être des mesures de rétorsion.

André Sapir.
André Sapir.© belgaimage

D’ici là, sommes-nous donc démunis face aux Etats-Unis ?

Non, je vois deux pistes de réactions possibles. La première consisterait à prendre des mesures de sauvegarde de notre industrie, contre la hausse des importations. Avec les barrières douanières, les pays exporteront moins vers les Etats-Unis et une partie de leur production pourrait être déviée vers l’Europe. Cela léserait l’industrie européenne et pourrait faire l’objet d’une enquête. Si celle-ci aboutit, nous pourrions instaurer des taxes à l’importation. La seconde piste consisterait à lancer des investigations contre une série de produits américains dont l’importation ferait du tort à l’économie européenne. Si ces effets sont validés, on peut alors mettre en place des droits de douane. On reste dans la légalité mais on entre quand même dans une escalade.

Doit-on s’attendre à ce que face au protectionnisme américain, l’Europe décide de se tourner plus vers l’Asie et la Chine ?

Je ne le pense pas. Les tarifs douaniers annoncés sont certes déplaisants mais ils visent des exportations de l’ordre de 3,5 milliards d’euros. Un volume minime à l’égard du total de nos échanges commerciaux avec les Etats-Unis. On ne va pas déclencher une guerre commerciale pour cela. Rappelons que les Etats-Unis sont la première destination des exportations européennes.

En 2002, George Bush avait aussi pris des mesures douanières contre l’importation d’acier. Mais, il en avait parlé au préalable avec les dirigeants européens et il ne contestait pas le rôle et les règles de l’OMC. Ici, on peut s’interroger : Donald Trump va-t-il s’arrêter là ou est-ce la première salve d’une offensive plus large contre le multilatéralisme, contre la capacité de l’OMC à s’affirmer comme un régulateur international ? L’Europe doit voir si elle est en mesure de cimenter une coalition pro-OMC et anti-protectionnisme. Elle ne se positionne pas contre les Etats-Unis, qui restent un partenaire commercial, politique et militaire très important, mais pour l’OMC.

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