“Menu Next Door n’était pas à court d’argent, mais n’a pas trouvé son modèle”

Nicolas Van Rymenant, fondateur de la start-up Menu Next Door © DR

La start-up belge Menu Next Door, qui permettait aux amateurs de cuisine de préparer des plats pour leurs voisins, a fermé ses portes la semaine passée. Une surprise alors que la jeune pousse, très en vue, avait levé 4 millions d’euros et amplement fait parler d’elle. Entretien avec son fondateur et CEO, Nicolas Van Rymenant.

A Bruxelles, Menu Next Door avait réussi à créer une communauté en quelques mois à peine au travers d’un groupe Facebook. Sa croissance et son dynamisme ont fait d’elle l’une des start-up belges francophones prometteuses. Et sa double levée de fonds en 2016 n’a fait qu’attiser l’espoir de voir naître depuis notre capitale une nouvelle pépite. Son équipe fondatrice voyait les choses en grand, notamment avec son lancement à Paris et Londres. Mais la semaine dernière, la start-up a fermé boutique. Nicolas Van Rymenant, son fondateur et CEO, revient sur cette aventure hors du commun.

TRENDS-TENDANCES. Vous fermez Menu Next Door un an et demi après avoir levé plus de 4 millions d’euros en deux fois. Un tel montant ne vous permettait-il pas de tenir plus longtemps ?

NICOLAS VAN RYMENANT. Nous ne fermons pas Menu Next Door parce que nous sommes à court d’argent mais plutôt parce que nous n’avons pas trouvé le bon business model, malgré de nombreuses tentatives. Depuis nos levées de fonds en 2016, j’étais extrêmement concentré sur la recherche du bon business model et nous avons essayé pas mal d’hypothèses. Mais j’étais au bout de toutes les hypothèses que j’avais imaginées et trop de signaux étaient au rouge. Après trois ans, je me suis donc posé la question suivante : si un entrepreneur venait me présenter un projet comme Menu Next Door avec tous les éléments que j’ai en main aujourd’hui, est-ce que j’y croirais ? Et la réponse, c’est qu’aucun modèle ne pouvait nous permettre de créer une entreprise rentable et qui puisse enregistrer la croissance souhaitée. J’ai donc décidé que c’était le bon moment pour fermer proprement la start-up.

Profil

© JULIEN LEROY (BELGA IMAGE)

2010 : Nicolas Van Rymenant travaille pour GolfAcademyTV, un site de streaming pour apprendre à jouer au golf.

2012 : Il cofonde l’agence d’ inbound marketing Pycty

2015 : Il lance le projet Big Moustache, un programme de formation courte pour les start-up

2015 : Lancement du projet Menu Next Door au travers d’une page Facebook qui regroupe rapidement plusieurs dizaines de milliers d’utilisateurs.

2016 : Menu Next Door annonce une levée de fonds de 1,75 million d’euros auprès de fonds comme Index Venture ou Kima. Quelques mois plus tard, la start-up réalise discrètement une levée supplémentaire de 2,5 millions.

Qu’est-ce qui ne marchait pas dans le modèle de Menu Next Door ?

Menu Next Door était une plateforme à deux faces ( two-side marketplace) : d’un côté les clients et de l’autre les chefs qui cuisinent pour leur voisins. De ce fait, l’équation était particulièrement complexe avec énormément d’inconnues. Trop. Au cours de nos expérimentations, nous nous sommes par exemple rendu compte que nous étions une high density marketplace, c’est-à-dire qu’il nous fallait toucher des zones à forte densité de population pour que cela prenne. Et parmi les paramètres à régler, le nombre de chefs était un élément important : il fallait que Menu Next Door propose un certain nombre de chefs dans un certain rayon. Mais quel rayon ? Combien de chefs ? Quel type de cuisine ? Au final, nous ne sommes par parvenus à une vraie récurrence, tant de la part des chefs que des clients. Les chefs n’étaient pas actifs chaque soir, forcément. Au mieux, c’était une fois par semaine. Et puis, le plat changeait, il fallait que le client l’aime, que cela tombe le bon jour, etc. C’étaient beaucoup d’inconnues en même temps. Dans un business de plateforme, ce qui compte c’est que l’offre reste active et qu’elle réponde à une demande.

Quand vous avez levé de l’argent, vous aviez plus d’un an d’existence. Il vous fallait quand même montrer des chiffres concrets. Est-ce que tout le monde, y compris les investisseurs, se sont un peu emballés ?

Nos chiffres, au moment de lever des fonds, étaient bons. A ses débuts, en trois mois, la plateforme Menu Next Door a permis de vendre des plats pour 5.000 euros par semaine. Il s’agit d’une croissance importante pour un si court laps de temps. La croissance pour les investisseurs, c’est un moyen qui leur permet de tirer une ligne dans le temps. L’idée est de se projeter à trois ans tout en gardant la même croissance. Les chiffres envisagés étaient prometteurs. Et les investisseurs ont cru en notre communauté Menu Next Door, ces rencontres et cette convivialité. Ils ont cru dans notre vision. L’équipe était superbe et a séduit les investisseurs.

Qu’est-ce qui vous a fait penser, au début, que le concept allait prendre ?

Quand j’ai lancé cette start-up, j’avais la volonté de mener un grand projet et de ne pas rentrer dans le déterminisme de la société qui vous dit que c’est impossible, qu’il y a des règles, etc. Je suis parti dans l’idée de régler le problème de malbouffe sur la planète en créant le ” Airbnb de la nourriture “. Ma vision consistait à pousser les gens à proposer une cuisine saine et de mettre la convivialité au coeur des moments de restauration. Dans un premier temps, j’ai investi toute mon énergie afin de créer des rencontres et de la convivialité : il fallait lancer un mouvement de société et pas juste un site web. C’est pour cela qu’on a commencé avec un groupe Facebook, pour mettre l’humain au centre. Et nous avons réussi à créer ce mouvement. Très vite, il y a eu un effet viral fort : nous avons commencé dans une niche et, en quelques mois, nous avons attiré des milliers de personnes qui ont voulu tester le concept.

Menu Next Door était une plateforme à deux faces : d’un côté les clients et de l’autre les chefs. L’équation était particulièrement complexe avec énormément d’inconnues.

Et ces milliers de gens, où sont-ils passés ?

L’idée c’était de les garder évidemment… Mais c’est ça qui n’a pas marché, ou en tout cas pas assez. Ce qui est terrible, c’est que de manière générale, les gens adoraient. Mais il y avait des freins au rachat. Principalement des tas de freins pratiques : le fait de se déplacer, d’arriver chez le chef, de trouver une place pour se garer. Si le chef habitait dans un endroit difficile d’accès, les clients y allaient une fois mais pas deux… Et puis, il fallait commander à l’avance, ce qui fait qu’on touchait la cible des gens plus organisés, soit une clientèle parfois plus âgée mais qui a des habitudes bien ancrées. Ce sont ces aspects pratiques qui se sont révélés compliqués. Or, une plateforme numérique doit réussir à rendre les choses pratiques.

Cela peut paraître étonnant qu’il ait fallu pas loin de trois ans, et 4 millions d’euros, pour se rendre compte, au final qu’il n’y a pas de marché. Comment l’expliquez-vous ?

C’est un projet qui n’avait jamais été mené, où tout était à inventer. En général, les start-up qui réussissent, sont celles qui ne renoncent qu’au dernier moment, peu importe le temps que cela prend. Airbnb a mis quatre ans avant de décoller et de trouver son modèle. Le modèle pour ce type de projet peut apparaître à tout moment. On peut le trouver, tout à coup, après trois ou quatre ans. C’est parfois une question de chance. Moi j’ai décidé d’arrêter après trois ans parce que l’argent n’aurait plus suffi et que j’étais arrivé à un stade où j’avais la conviction que ce n’était pas le bon modèle. Autant d’argent, c’est relatif : la tech coûte très cher, les développements sont onéreux. Il nous a fallu trouver les personnes compétentes, parfois à l’étranger en fonction des compétences dont on avait besoin. Nous avons été présents dans trois villes et trois pays : Bruxelles, Paris et Londres. Les ouvertures de zones coûtent cher. Quand vous croyez dans un modèle que vous voulez accélérer, vous testez des choses qui finalement ne fonctionnent pas : cela a un coût. Cela fait beaucoup de sous, mais pour ouvrir un resto, combien croyez-vous que cela coûte ? Donc c’est relatif.

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L’erreur n’était-elle pas de vous lancer sur un marché… sans demande. A la base, personne n’imaginait vendre des plats par Internet et personne n’imaginait en acheter chez un voisin…

Je suis convaincu qu’il est possible de créer une demande. J’aime les choses compliquées. Si on pense pouvoir changer les choses, je reste persuadé qu’il faut essayer. Au final, je vois l’expérience Menu Next Door comme une note de musique dans une partition. C’est l’avenir qui dira si c’était une fausse note ou pas en fonction de la note suivante. Mais de Menu Next Door, il va rester beaucoup de belles choses : beaucoup de clients ont été ravis de l’aventure et vont garder des relations avec leurs chefs habituels. De plus, Menu Next Door a permis l’ouverture d’une trentaine de restos ou des traiteurs.

Vous voulez dire que la plateforme a servi de point de départ pour des professionnels ?

Oui. Menu Next Door a joué le rôle de Kickstarter, en quelque sorte. Un certain nombre de chefs passionnés sont venus sur la plateforme et se sont rendu compte qu’ils pouvaient en faire leur métier. D’autres se lançaient et avaient chez nous la possibilité de confronter leurs recettes à l’avis des clients, tandis que d’autres encore proposaient des plats et s’en servaient comme d’un outil marketing pour développer leur service de traiteur événementiel. Personne ne vivait à temps plein des plats vendus sur Menu Next Door mais une série de chefs s’en sont servi comme un démarrage d’activité. Et on dénombre entre 20 et 30 chefs qui ont soit lancé un resto à Bruxelles, soit se sont mis à leur compte en tant que traiteur.

Les réglementations belges ont-elles été un frein ?

Notre projet changeait la donne : des particuliers vendaient des produits alimentaires et pouvaient gagner leur vie. Nous devions donc régler pas mal de points tels que la rémunération des particuliers et les questions liées à l’hygiène. On pourrait effectivement voir les réglementations propres à notre pays comme un frein. En réalité, elles nous ont été utiles. Prenez les règles d’hygiène : notre pays est extrêmement strict là-dessus. Au final, notre expérience belge nous a permis de gagner du temps quand nous avons lancé Menu Next Door dans d’autres villes, à l’étranger. En termes de bagages et d’expérience, cela permet d’aller plus vite.

L’ouverture des grandes villes comme Paris et Londres nous a permis de comprendre que le concept n’était certainement pas destiné aux grandes villes.

En parlant des règles d’hygiène justement, vous saviez depuis le début que ce serait un problème. N’aviez-vous pas en tête la démarche d’Uber qui consiste à se lancer, bousculer les choses et faire en sorte que les règles s’adaptent à vous, plutôt que l’inverse ?

Dans le domaine de l’économie collaborative, vous n’avez pas le choix. Les lois ont été faites par les hommes et donc doivent être changées par les hommes. Si nous voulions continuer à développer notre plateforme, la communauté nous sauverait, pensions-nous. Plus la communauté est forte, plus elle va aider à résister. Quand tout le monde veut quelque chose, on peut envisager de changer les lois. Et nous avions une vision très positive de ce que nous faisions.

Est-ce qu’il n’y a pas eu un problème de timing, c’est-à-dire que Menu Next Door a été développée au moment où se mettaient aussi en place des systèmes de livraison de repas comme Take Eat Easy et Deliveroo ?

Non parce que la cible était différente : la moyenne d’âge des clients de services de livraison, c’est 25-35 ans, Menu Next Door, c’était plutôt 35-65. On est d’accord que c’est un marché environnant et que l’on reste dans la nourriture. Mais le concept reste très différent : sur Deliveroo, vous commandez et avez à manger directement. Chez nous, il fallait commander à l’avance parce que c’est préparé tranquillement par un particulier. C’est une autre démarche.

Etait-ce une erreur de vous lancer si rapidement à l’étranger à Paris et Londres ?

L’ouverture des grandes villes comme Paris et Londres nous a permis de comprendre que le concept n’était certainement pas destiné aux grandes villes. Au centre de Londres, c’était très compliqué : les gens ne voulaient pas venir, il n’y avait pas assez de clients. En caricaturant un peu, Londres est un marché de businessmen qui cherchent la facilité. A Paris, la configuration était aussi assez complexe : les Parisiens vivent dans des grands immeubles avec des codes à l’entrée où il faut passer un porche, puis aller dans la cour, prendre une porte à droite, monter 12 étages, etc. Cela rendait le modèle compliqué. Et c’est vrai que le fait d’avoir ouvert ces deux villes nous a peut-être empêchés d’être flexibles dans la recherche du modèle. C’est plus difficile de faire bouger un bateau qu’un jet-ski.

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