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“En Afrique, des élections fiables et pacifiques restent un mirage pour bien des pays”

Ma terre natale, l’Afrique, est un tissu de contradictions. Alors que nos pays se disent démocratiques, nous avons aussi des régimes militaires qui voudraient se faire passer pour des démocraties civiles.

Par le détournement de fonds et le clientélisme, les riches politiciens continuent de s’enrichir en siphonnant l’argent destiné à des services publics essentiels. Trop souvent, les élections ne sont qu’une mascarade destinée à reconduire le sortant.

En 2018, l’enjeu des réformes politiques en Afrique devient urgent. Plusieurs élections importantes sont prévues. Dans un climat d’insécurité, de division et de violences entraînant des migrations forcées, le plus jeune Etat d’Afrique, le Soudan du Sud, est censé tenir son premier scrutin présidentiel. Le Cameroun, dirigé par le même homme depuis plus de 30 ans (qui se représente), va lui aussi élire un président. Les électeurs du Congo (RDC), de l’Egypte, de la Sierra Leone et du Mali se rendront aussi aux urnes.

L’Afrique doit dépasser le stade du multipartisme de façade. Trop souvent encore, la compétition électorale n’est pas équitable : un parti bien accroché au pouvoir, ayant la main sur tous les rouages vitaux de l’Etat, affronte par la voie électorale une opposition incompétente formée de partis divisés, désorganisés et faibles. On l’a vu lors de la présidentielle de 2016 en Gambie : les alliances stratégiques entre partis d’opposition ont joué un rôle crucial dans le départ d’un démagogue aussi bien installé que l’était Yahya Jammeh. Les récents scrutins organisés au Rwanda et en Angola ont montré à quel point il était urgent de repenser les pratiques et les institutions électorales pour mettre les élections à l’abri des manipulations.

Les passages de relais pacifiques restent un mirage pour bien des pays d’Afrique. L’élection du président Nana Akufo-Addo au Ghana en décembre 2016 a ainsi marqué une heureuse rupture avec les violences qui accompagnent généralement les changements de régime. De même, la passation de pouvoir relativement pacifique qu’a connue la Somalie en 2012 est à saluer. A l’inverse, des chefs d’Etat controversés comme Yoweri Museveni en Ouganda, Ali Bongo au Gabon et Edgar Lungu en Zambie se sont fait réélire dans un climat de coercition, marqué par des arrestations de leaders d’opposition, des manoeuvres d’intimidation contre les électeurs et les médias. Au Kenya, l’incapacité à obtenir des résultats fiables malgré le vote électronique montre que l’informatisation seule ne peut résoudre tous les maux.

L’Afrique doit dépasser le stade du multipartisme de façade. Trop souvent encore, la compétition électorale n’est pas équitable.

Malgré le risque indéniable de représailles, il est indispensable d’ouvrir un espace à l’action citoyenne pour lutter contre les velléités d’enracinement des autocraties – y compris contre ces amendements constitutionnels sournois par lesquels se consolident les dictatures. Si le président rwandais Paul Kagame a pu briguer en août 2017 un troisième septennat, c’est grâce à une modification de la Constitution. En Ouganda, où un amendement de 2005 a levé la limitation à trois mandats présidentiels, c’est maintenant l’âge maximum du président (75 ans) qui pourrait être repoussé.

Sans une lutte résolue contre la corruption, nul ne peut espérer réformer la vie politique en Afrique. Le Kenya montre la voie. Dans les semaines qui ont précédé la présidentielle, personnels de santé, enseignants, étudiants et agriculteurs ont convergé dans plusieurs grandes manifestations pour dénoncer des scandales de corruption. Voilà le genre d’actions qui retient l’attention du monde politique.

Institutionnaliser la transparence et punir la corruption sont aussi des moyens de réduire la pauvreté et de consolider les recettes publiques. De l’argent qui peut ensuite alimenter le système de santé, l’éducation, les transports publics, l’électrification des milieux ruraux et d’autres infrastructures essentielles au développement. Et à leur tour, la généralisation et l’amélioration des services publics ouvrent de nouvelles perspectives économiques au plus grand nombre et contribuent à réduire le fossé entre riches et pauvres. En 2018, l’Afrique doit trouver l’élan nécessaire à de grands changements.

Par Stella Nyanzi, chercheuse universitaire et activiste des droits de l’homme

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