Paul Vacca

“Netflix, tueur en séries”

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

A Hollywood, les déflagrations provoquées par l’affaire Weinstein ont relégué au second plan les secousses venues de l’extérieur. Pourtant, cette semaine, Netflix a annoncé vouloir investir 8 milliards de dollars l’année prochaine dans la production de contenus originaux.

Pour donner une idée de l’amplitude de la secousse, cela signifie que Netflix produira, à lui seul, plus de films que les trois plus grands studios américains réunis : Disney, Warner Bros. et Universal Pictures. Et les acteurs du streaming comme Amazon, Apple et Facebook lui emboîtent le pas à l’assaut d’Hollywood.

Une horde numérique qui a déjà, pour partie, fait rendre gorge aux câblo-opérateurs, provoquant une hémorragie des abonnements par une génération de cut-corders — littéralement ceux qui ” coupent le câble ” — qui migre en masse vers les offres de streaming.

Et maintenant, au tour d’Hollywood, la vieille usine à rêves. On avait déjà prédit sa mort à l’époque du piratage via le peer to peer. Pourtant, elle tient encore. Et, en 2017, il y a encore des gens qui continuent d’aller au cinéma : de prendre les transports, de faire la queue, de payer sa place au prix d’un abonnement mensuel de streaming. Une énigme alors que l’on peut visionner tous les films et les séries chez soi pour presque rien.

Cela entretient d’ailleurs les moguls d’Hollywood dans leur sentiment d’invincibilité. Ils se croient indisruptables, toisant avec morgue ces jeunes nerds du nord de la Californie — qui ne réussiront jamais à pirater leur art centenaire et roué du storytelling. Alors même si quelques geeks à capuches s’invitent maintenant dans des cérémonies à smoking pour des récompenses type Grammy, Oscars, ou même à Cannes, les patrons des majors continuent de fumer le cigare, tranquillement assis sur un pactole mondial de 40 milliards de dollars (le double par rapport à 2002), avec des entrées en hausse ininterrompue depuis 2005.

Il y a quelques années encore, le grand écran produisait des films et la télévision proposait des séries. Aujourd’hui, c’est l’inverse.

Tranquillement ? Pas sûr. Car, malgré les apparences, quelque chose a changé en profondeur. Si les acteurs du streaming n’ont pas, pour l’heure, réussi à assécher les entrées en salle, ils touchent en revanche Hollywood dans son coeur de métier : le film de cinéma.

Un véritable twist scénaristique s’est produit. Là où, il y a quelques années encore, le grand écran produisait des films – c’est-à-dire des prototypes – et la télévision proposait des séries. Aujourd’hui, c’est l’inverse.

Hollywood devient de plus en plus sérielle, alors que Netflix & Cie lancent leurs contenus – séries, documentaires ou films – comme des prototypes cinématographiques.

Il faut se rendre à l’évidence : Hollywood aujourd’hui ne produit quasiment que des séries. Ou plus exactement : des films sur un mode sériel. Ce que l’on appelle des franchises – les sagas comme Star Wars ou Harry Potter, les univers de super-héros, etc. – qu’ils exploitent à travers des remakes, sequels, prequels, reboots, cross-over ou spin-off, etc.

Produire un film qui ne porte pas la possibilité d’une suite, libre de toute généalogie, constitue une aberration dans le système actuel. Les majors pris dans l’envolée exponentielle de leurs budgets – on parle désormais de tentpoles, ces mega-blockbusters qui engagent l’ensemble des profits d’une année – se raccrochent alors au déjà vu comme à une assurance-vie. Il ne s’agit surtout plus de surprendre le spectateur qui vient en salle, mais de lui offrir un divertissement totalement familier.

Alors que Netflix et consorts sont en apesanteur, portés par des valorisations exponentielles, libérés des diktats de l’audience, des entrées ou de la publicité. Libres de lancer des séries comme de purs prototypes. Avec une arme, le bingewatching, offrant une très grande liberté formelle, hors des carcans de la série classique linéaire qui est, elle, sommée de fidéliser, semaine après semaine, son audience.

Une bataille de titans en perspective qui pourrait d’ailleurs donner lieu à une franchise : la Silicon Valley contre Hollywood. Pas sûr qu’il y ait moins de morts que dans Game of Thrones.

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