L’Afrique, c’est chic

© Ph. Cornet

La Fondation Vuitton réussit une impressionnante double exposition consacrée à l’art africain contemporain, jouxtant une sélection de sa propre collection. Surprenant, tout comme le bâtiment parisien signé Frank Gehry.

Située au coeur du Bois de Boulogne, la Fondation Vuitton est dissimulée par les arbres. Sa découverte se fait soudainement alors que la navette électrique partie du rond-point de l’Etoile nous dépose à ses pieds.

Si Frank Gehry est l’un des noms prestigieux de l’architecture contemporaine, ce n’est pas seulement par la dimension pharaonique de ses créations (lire l’encadré ” Le style Gehry “). Mais aussi par son style flamboyant qui, dans ce cas-ci, donne vie à un édifice évoquant un voilier géant, voire un iceberg sophistiqué. Inaugurée en octobre 2014 après un chantier qui aura pris pas moins de 12 ans, la Fondation Vuitton s’étend sur 11.000 m2. La saga de ce lieu étonnant est d’ailleurs retracée dans une zone d’expo permanente. Manque toutefois l’information sur le coût total de l’aventure, laquelle pourrait atteindre l’étourdissante facture de 800 millions d’euros, due aux matériaux comme aux techniques de construction innovants. Notamment l’utilisation du Ductal, un béton fibré ultra-performant à l’allure de faïence, et celle d’une armée de 3.600 panneaux de verre. L’impression d’entrer dans une cathédrale n’est pas étrangère à ses dimensions – 154 m de long, 46 m de haut – généreusement nourries de lumière : on a rarement visité un musée, y compris contemporain, donnant autant de surface aux oeuvres, évitant toute sensation d’embouteillage ou d’oppression.

Comme si ce luxe du regard voulu par Bernard Arnault se devait d’être la prolongation naturelle des objets fabriqués par son groupe LVMH. Devenu au fil du temps collectionneur acharné, l’homme d’affaires français utilise la Fondation du Bois de Boulogne comme son show-room idéal. Et jusqu’à la fin août, la température y est africaine avec un triple rendez-vous intitulé ” Art/Afrique, le nouvel atelier “.

Narration surréaliste

La première des trois expositions, intitulée ” Les initiés “, provient de la collection privée de Jean Pigozzi. Ce Français installé à New York, héritier des automobiles Simca, se fait initialement connaître dans le milieu de la nuit qu’il fréquente assi-dûment aux côtés de ses potes Jack Nicholson ou Mick Jagger. Pas tout à fait passivement puisqu’il se prend en photo avec les célébrités au Studio 54 ou à la Factory de Warhol, bien avant l’avènement du selfie. Mais cet habitué du show off rencontre une tout autre expression lorsqu’il parcourt en 1989 l’exposition parisienne Magiciens de la Terre ” et y découvre des créateurs africains. Coup de foudre et début d’une prospection menée avec le marchand d’art André Magnin, qui parcourt l’Afrique à la recherche de peintures et de sculptures contemporaines.

L’expo montre les oeuvres d’une quinzaine d’artistes achetées au fil des ans par Jean Pigozzi avec ce premier constat : l’oeuvre africaine actuelle est d’une extraordinaire versatilité. Multiple, imaginative et hybride. Les toiles éclatantes de couleurs du Congolais Chéri Samba, surprennent par leur narration surréaliste. Evoquant guerres, misère, corruption et injustices, elles utilisent les dysfonctionnements comme un parfum narratif sans jamais oublier la distance, le farfelu et l’humour. De l’humour, il y en a indéniablement aussi dans le travail du Béninois Calixte Dakpogan, issu d’une famille de forgerons, et qui revoit intégralement la tradition du masque : les siens sont composés de toutes sortes de matières hétéroclites, comme des épingles de sûreté, des tessons de bouteilles ou des coupe-ongles. Le résultat, drôle et bluffant, pousse l’imagination à la première place des sources d’inspiration. La beauté mystique des figurines de John Goba, les constructions fantasques faites de récup de Rigobert Nimi, attestent du même jeu sur le plaisir décalé. Difficile de passer à côté des images désormais rentrées dans l’histoire de la photographie, du Malien Malick Sidibé, pas loin de la production moins connue du Nigérian J.D. Okhai Ojeikere. Pendant 30 ans, ce dernier a saisi en noir et blanc les coiffures des femmes de son pays pour un résultat graphique qui, indéniablement, élève le cheveu africain au rang d’oeuvre d’art.

Mi-homme mi-animal

La deuxième expo, également collective, s’intéresse à l’Afrique du Sud actuelle. Si elle est baptisée ” Etre là “, c’est bien parce que les artistes de ce pays doivent, eux aussi, absorber les événements de l’après-apartheid et en cicatriser les profondes blessures. Là aussi, une quinzaine d’intervenants montrent la richesse créative du côté de Johannesburg : les auteurs sont parfois très jeunes – comme Kudzanai Chiurai et ses curieuses mises en scène érotico-guerrières – mais les enjeux restent toujours ceux d’asseoir un territoire blessé dans une modernité sociale et culturelle.

Deux noms se détachent du lot, William Kentridge et Jane Alexander. Le premier développe depuis la fin des années 1980, une oeuvre protéiforme, s’intéressant au multimédia, souvent par le biais de films intégrant l’animation. A la Fondation Vuitton, il expose de grands dessins muraux aussi poétiques que fantômatiques, en marche vers un ailleurs indéfini. Comme l’extraordinaire installation de Jane Alexander où 27 créatures mi-homme, mi-animal, groupées en rang militaire sur un tapis rouge, font face à un chien solitaire. S’il n’y avait qu’un choc à subir de ” Art/Afrique, le nouvel atelier “, ce serait bien celui-là, que l’on digère encore lorsqu’on visite le dernier niveau du bâtiment où la Fondation a accroché des oeuvres, toujours africaines, lui appartenant. Dont des photos incarnant la vitalité et l’esprit de résistance de la jeunesse africaine, que l’on quitte pour admirer de la terrasse, la tour Eiffel au loin. Un autre luxe.

” Art/Afrique, le nouvel atelier ” jusqu’au 28 août, www.fondationlouisvuitton.fr

Philippe Cornet

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