Des chaussures presque jumelles

Elle forme la paire avec sa soeur Christelle, restée en Belgique. © C. Cohen

Daphné et Christelle Debauve vivent à 6.000 km l’une de l’autre et pourtant, ces soeurs jumelles ont créé ensemble une marque de chaussures pour enfants, George & Georgette.

“On a 36 ans, oh pardon, 37 ans, j’ai encore du mal à m’y faire “, lance Daphné Debauve, le ton amusé. Confortablement installée à son bureau, au milieu de boîtes à chaussures et de papiers de comptabilité, l’entrepreneuse discute sur Skype avec sa soeur jumelle Christelle. ” On essaie de se téléphoner le plus souvent possible car c’est très dur d’être à distance “, avoue-t-elle. Depuis sept ans et le départ de Daphné pour New York, les deux soeurs vivent loin l’une de l’autre. Une situation ” difficile “, reconnaissent-elles, mais ” on a toujours été très proches, et mon déménagement de l’autre côté de l’Atlantique n’y a rien changé “.

En grandissant, la Belgique est devenue trop petite pour les rêves de Daphné. ” Je m’ennuyais ” concède-t-elle. Alors l’idée de partir vivre à l’étranger a commencé à germer dans son esprit. Pas forcément aux Etats-Unis, mais ailleurs, loin de son pays natal. Au début, il ne s’agissait que d’une éventualité plutôt lointaine. Mais un jour, l’opportunité s’est présentée. Enfin.

D’Houtain-le-Val à New York

En 2010, Daphné trouve du travail comme orthophoniste sur l’île de la Réunion. Mais ça ne sera finalement pas sa destination. Car au même moment, son compagnon, qui deviendra quelques mois plus tard son mari, s’est vu offrir un poste en finance à Wall Street. ” Le choix a été vite fait “, rigole-t-elle. Ils décident donc de s’envoler direction New York et ses hauts buildings. ” On s’est mariés pour que j’obtienne mon visa et ensuite, on est partis “, se souvient-elle. Si sa soeur Christelle aimerait bien la voir revenir en Belgique – les deux jeunes femmes sont originaires d’Houtain-Le-Val – Daphné ne l’envisage pas. ” J’adore New York, c’est une ville incroyable. Alors peut-être qu’on va déménager et quitter la ville, mais certainement pas pour retourner en Belgique “, explique-t-elle, tout en examinant du coin de l’oeil la réaction de sa soeur à l’écran.

Pourtant, son installation aux Etats-Unis n’a pas été de tout repos. ” J’ai un diplôme d’orthophoniste mais je ne peux pas travailler en anglais car ce n’est pas ma langue maternelle, raconte-t-elle. Donc j’ai enchaîné plein de petits boulots. J’ai été professeure de français, je me suis occupée d’enfants et j’ai aussi travaillé dans la plus vieille pharmacie chinoise de New York. J’étais payée des clopinettes pendant trois ans mais c’était super. ” Car Daphné est une touche-à-tout, très curieuse et pleine d’énergie. Une fois ses études d’orthophonie terminées, alors qu’elle est en colocation avec sa soeur à Bruxelles dans un petit appartement de 36 m2, elle décide de se lancer un nouveau défi. Sur les conseils de Christelle, elle débute l’apprentissage de la médecine chinoise. En 2007, elle part un mois en Chine pour apprendre les techniques de cette discipline particulière, et c’est un ” vrai coup de coeur “. Cette passion pour la Chine ne l’a jamais quittée, la poussant jusqu’à emménager en plein coeur de Chinatown, le quartier chinois de New York.

Dépareillées

Mais aujourd’hui, ce n’est plus la Chine qui occupe toutes les pensées de Daphné. C’est un autre projet qui a débuté il y a plus de deux ans, à l’été 2014. ” Après mon départ, avec ma soeur on voulait se rapprocher, raconte Daphné. Alors, on s’est dit qu’on pourrait créer une entreprise ensemble “. ” C’est son départ à New York qui nous a poussées à nous lancer “, ajoute Christelle. Alors, Daphné démissionne et quitte la pharmacie chinoise. Christelle, de son côté, conserve son emploi d’enseignante en Belgique, mais sur son temps libre, se consacre pleinement à leur projet. Très vite, elles ont la même idée : créer des chaussures pour enfants dépareillées. ” Toutes petites déjà, on s’échangeait nos boucles d’oreilles pour porter deux bijoux différents, racontent-elles. Nous trouvions ça hyper sympa. Les paires n’ont pas besoin d’être identiques pour aller l’une avec l’autre. ” Un peu comme elles. Car Daphné et Christelle ont beau être jumelles, elles n’en sont pas moins très différentes. Daphné est plus grande d’un centimètre et plus vieille de 30 minutes. Christelle, elle, est plus mince. Pourtant, elles ne vont pas l’une sans l’autre.

Un an plus tard, en juin 2015, elles créent finalement la marque George & Georgette. ” Notre grand-mère s’appelait Georgette, explique Daphné, et on aimait bien l’idée d’un vieux prénom, ça sonnait bien “. En testant le concept sur ses deux petits garçons de trois et cinq ans, Daphné s’est vite rendu compte que ça pouvait marcher : ” J’avais toujours des commentaires et des compliments sur les chaussures de mes enfants “. Alors, elles décident de se lancer dans l’aventure.

Jaunes avec des moustaches de chat

Les débuts sont compliqués. ” Nous ne connaissions rien à la mode, à la conception… On ne savait pas par où commencer. En plus, à distance, avec le décalage horaire, ce n’était pas tout le temps évident de communiquer “, confie Daphné.

Elles ont avancé à tâtons. D’abord en recrutant une styliste. Belge, bien sûr. ” Pendant un an, nous avons travaillé à trois sur les modèles, expliquent les jeunes femmes. La styliste dessinait et on corrigeait. ” Elles réussissent à créer cinq modèles pour enfants : des vertes pour rappeler la jungle, des noires et blanches pour les notes de musique, ou encore des jaunes avec des moustaches de chat. Toujours dépareillées.

Si les deux soeurs travaillent toutes les deux sur le côté créatif, ” c’est Daphné qui gère tout l’administratif “, avoue Christelle. ” D’ailleurs, demain, j’ai rendez-vous avec notre comptable “, s’amuse Daphné. Cela n’a rien à voir avec des appétences en finance ou en comptabilité. Daphné a hérité de cette partie tout simplement parce que le siège de l’entreprise est à New York. ” C’était une évidence, justifie-t-elle. C’est beaucoup plus simple de créer une entreprise aux Etats-Unis qu’en Belgique. New York est une ville qui encourage et qui aide les start-up “. Et les clients sont plutôt américains: ” La paire de chaussures coûtant 45 dollars, ce n’est pas intéressant de livrer en Belgique, à cause des taxes “, rappelle Daphné. Pour autant, cela n’a pas empêché les deux Belges de vendre ” une bonne centaine de produits “.

Mandarines et dentifrice

Les deux soeurs ne comptent pas en rester là. Elles ne manquent pas d’idées pour dynamiser leur entreprise, avec des projets parfois très originaux comme embaucher des sans-abris. ” Nous avons toujours été sensibles à la situation des SDF, justifie Christelle. Quand nous étions petites, nous voulions les loger, aller vers eux pour leur donner une chance de s’en sortir “. Mais avant de pouvoir réaliser cet objectif (” ça ne sera pas pour tout de suite car l’entreprise n’est pas encore rentable “, expliquent les deux soeurs), Daphné et Christelle utilisent quand même leur concept pour venir en aide aux sans-abris. ” Régulièrement, je remplis nos boîtes à chaussures vides avec des mandarines, du dentifrice, de l’eau, des T-shirts chauds pour l’hiver… et je vais les donner aux SDF de mon quartier “, explique Daphné. ” On ne veut pas simplement vendre des chaussures, on veut donner un aspect humain et social à notre entreprise, lancent les jumelles. Pour nous, c’est indispensable. ”

Chloé Cohen

“Les paires n’ont pas besoin d’être identiques pour aller l’une avec l’autre.” Comme Daphné et Christelle.

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