” Je me bats pour faire reconnaître le métier d’affineur “

JULIEN HAZARD. Quand je reçois des produits de la Ferme du Gros Chêne, ils ne sont pas du tout affinés, ils sont complètement blancs. Les Picoleurs, par exemple, sont dans du plastique et sont très poisseux car macérés dans du vin blanc. Ce sont des fromages de type croûte lavée mais emballés. Les bactéries qui doivent générer la couleur rouge n’arrivent donc pas à se développer. Je les déballe et je les fais sécher avec les fromages à croûte fleurie de type brie pour qu’un léger duvet blanc se forme sur le fromage. Alors que la plupart des fromagers les vendent comme ça, dans leur emballage d’origine… C’est ça la différence : le travail à la base, dès réception du produit.

Comment choisissez-vous vos fromages ?

Pour les fromages belges, j’ai un grossiste et je vais à Rungis pour les fromages français. Je travaille en direct pour le gouda fermier aux Pays-Bas et avec Neal’s Yard Dairy pour les produits anglais. Quand je peux faire du direct, je le fais mais il ne faut pas que mon coût de transport soit trop élevé. De plus, il est bien souvent difficile de travailler en direct avec des petits producteurs car ils ne produisent pas assez ou toute la production est vendue sur place.

Qu’est-ce, au juste, un fromager affineur ?

L’affinage est la dernière phase de la fabrication du fromage. Mais c’est quelque chose de très subjectif car chaque affineur a son goût. Moi, j’affine mes fromages comme j’aime les manger. Je suis un peu comme un enseignant : je reçois quelque chose de très jeune, que je porte à maturité. Pour que texture, arôme, goût et croûtage soient à leur apogée pour le client. Mais affiner, c’est aussi du calcul. Les bries de Meaux que je vends le 24 décembre doivent rentrer début décembre, car il faut trois semaines pour les affiner. Mais le métier, c’est avant tout comprendre un fromage… Et ça, c’est de l’expérience ; on apprend sur le tas.

Fromager-affineur est-il un métier reconnu ?

Je suis en train de me battre pour qu’il y ait une reconnaissance du métier d’affineur. Car c’est un gros problème, tout le monde peut dire qu’il affine des fromages. En Belgique, il n’y a pas vraiment d’études ou de formation. En France, il existe quelques formations mais les affineurs sont souvent des ingénieurs agronomes qui travaillent pour des grands groupes industriels ou pour les AOP françaises.

Beaucoup de mes collègues disent qu’ils affinent. Mais je connais les fromages qu’ils achètent et chez quels grossistes ; je sais qu’ils n’affinent pas. Je ne veux pas polémiquer ; ils font du bon boulot, mais ils ne font pas le même travail que moi. Alors, avec des collègues flamands, pour nous protéger, nous avons créé un label ” Fromager affineur certifié “.

Comment a germé l’idée de ce label ?

Il y a quelques années, on ne pouvait pas affiner du fromage à cause de l’Afsca, même si elle fermait souvent les yeux. Un jour, mon ancien patron, Monsieur Elsen, qui affine depuis 20 ans à Louvain, est tombé, lors d’un contrôle de l’Afsca, sur un contrôleur tâtillon qui lui a dit qu’il ne pouvait pas casser la chaîne du froid. Quand nous achetons les fromages chez les grossistes, à Rungis, ils sont à 4°C ; pour les affiner, on les place en effet à des températures entre 8 et 12°C… Monsieur Elsen a contacté l’Unizo, l’union des entrepreneurs indépendants néerlandophones, qui a payé des études à l’université de Gand. Pendant six mois, ils ont prélevé des échantillons pour voir comment évoluaient les fromages et les bactéries. On en est sorti magnifiquement bien ! L’Unizo est ensuite allée voir l’Afsca, qui a changé son guide : on peut désormais conserver et affiner les fromages entre 7 et 14° C au niveau national. Mais un gars sur le marché, qui n’a pas de frigo, peut laisser ses fromages dehors et dire qu’il affine s’il a un contrôle de l’Afsca… C’est pour cela que nous avons mis au point, en novembre 2015, un cahier des charges précis avec l’Unizo et l’organisme de contrôle Vinçotte.

En quoi consiste ce cahier des charges ?

Pour obtenir ce label national (même si pour l’instant, je suis le seul francophone à l’avoir), il faut au minimum deux caves d’affinage à plus de 7° C et une chambre froide de conservation à 4° C. Soixante pour cent des fromages doivent être au lait cru et 15 % au moins fermiers, tandis qu’ils seront uniquement vendus à la découpe. Enfin, tous les membres doivent payer un système d’auto-contrôle tous les trois ans et un audit par an. Le coût est raisonnable, mais c’est le travail qu’il y a derrière tout ça qui effraie les petits fromagers-crémiers. Car la traçabilité doit être totale. Notre label respecte en effet les plus hautes normes en termes de sécurité alimentaire !

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