SANS PRÉCIPITATION

Le retour à une certaine normalité de la croissance économique et de l’inflation dans la zone euro pourrait donner l’impression que les taux d’intérêt peuvent, eux aussi, revenir à des niveaux plus normaux. On sait en effet qu’il existe une relation de long terme entre le niveau général des taux et la croissance économique nominale. A une croissance nominale plus élevée doit normalement correspondre un niveau de taux plus élevé. Or, actuellement, les taux courts sont encore largement en territoire négatif (- 0,3 % pour le taux interbancaire à trois mois par exemple) et les taux longs, bien qu’ils aient passé leur point bas, se situent toujours à des niveaux très faibles (le taux de l’emprunt belge à 10 ans atteint à peine 0,75%). Ces niveaux sont plutôt compatibles avec une situation de crise.

” Wishful thinking ”

Dès lors, les marchés financiers sont animés depuis plusieurs mois par la crainte pour les uns, l’espoir pour les autres, de voir la Banque centrale européenne (BCE) relever ses taux d’intérêt plus vite que prévu, compte tenu d’un contexte économique s’améliorant lui aussi. En particulier, beaucoup d’acteurs financiers espèrent en terminer rapidement avec les taux négatifs. En Allemagne, le débat prend même une tournure politique, puisque la santé économique du pays permettrait certainement des taux plus élevés… et une rémunération meilleure de l’épargnant allemand moyen.

Ceci étant, ces spéculations reposent plus sur le sentiment (ou le souhait) des acteurs eux-mêmes que sur des arguments solides : on aimerait que les taux remontent mais la BCE n’a jusqu’à présent jamais indiqué qu’elle irait dans ce sens à court terme.

Prendre son temps

Au contraire, la BCE est très claire sur sa stratégie en la matière : les taux d’intérêt ” resteront au niveau actuel, voire à un niveau plus bas encore, pour une période prolongée et au moins bien au-delà de la fin de ses opérations d’assouplissement quantitatif (achats d’actifs sur les marchés financiers) “. Or, l’assouplissement quantitatif se prolongera à raison de 60 milliards d’euros par mois jusqu’en décembre 2017. Dans le meilleur des cas, elle le prolongera en le diminuant pendant quelques mois encore pour terminer son programme vers le milieu de l’année 2018. Ce n’est qu’à ce moment que l’on pourra penser à des hausses de taux. Au cours des récentes réunions de politique monétaire, la BCE n’a pas varié son discours à ce sujet, si bien que toute autre prévision n’est que pure spéculation.

Situation précaire

Il reste donc à comprendre pourquoi la BCE veut prendre son temps alors qu’en apparence, la situation économique serait compatible avec des taux plus élevés. Différents arguments plaident en effet pour maintenir des taux très bas : tout d’abord, la poussée d’inflation que l’on connaît en zone euro a un caractère temporaire et est liée aux prix de l’énergie, c’est-à-dire à un facteur extérieur. La dynamique ” interne ” des prix dans la zone reste pour sa part très modérée. On sait par exemple que la croissance des salaires est un moteur d’inflation. Or, ceux-ci ne progressent que très faiblement en raison d’un taux de chômage toujours très élevé. Il n’y a donc pas de force inflationniste importante dans la zone euro. De plus, bien que la zone euro soit en phase de reprise, la croissance économique y reste modérée. Dans un tel contexte, il est difficile d’envisager qu’à court terme, l’évolution des salaires soit un problème. Enfin, cette croissance modérée reste exposée à des chocs négatifs : les négociations entre Londres et Bruxelles sur le Brexit vont à peine commencer, ce qui pourrait affecter la confiance dans certains pays de la zone euro particulièrement exposés au commerce avec le Royaume-Uni. Faut-il par ailleurs rappeler que le calendrier électoral reste chargé en zone euro, ce qui pourrait engendrer de nouveaux chocs politiques en cas de résultats ” surprenants “. Enfin, la géopolitique n’est pas des plus stables en ce moment, ce qui peut affecter les développements économiques.

Pour toutes ces raisons, la BCE a tout intérêt à rester prudente : il faut à tout prix éviter l’erreur de 2011, lorsque la BCE avait remonté ses taux à deux reprises face à une inflation élevée, sous-estimant la grave crise de la zone euro qui avait pourtant déjà commencé mais qui restait en sourdine. Il n’est jamais bon pour la crédibilité d’une banque centrale de devoir faire volte-face. Jusqu’à présent, la BCE préfère donc garder une trajectoire très prudente, au grand désespoir de certains, mais dans l’intérêt commun.

PHILIPPE LEDENT

La BCE préfère garder une trajectoire très prudente, au grand désespoir de certains, mais dans l’intérêt commun.

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