“La Belgique doit rester un pays de Cocagne”

© ANTHONY DEHEZ

Les entrepreneurs en série sont chose rare dans notre pays. François Blondel, CEO de la firme pharmaceutique wallonne KitoZyme, est l’un d’eux. “Nous ne pouvons pas craindre l’échec”, dit-il.

Un jour, François Blondel (53 ans) a troqué une fonction de haut niveau chez le géant énergétique PetroFina contre un avenir incertain chez IBt. Celle-ci n’était encore, à l’époque, qu’une start-up largement déficitaire et sans revenus, spécialisée dans la lutte contre le cancer. ” Ma belle-famille a dit que j’étais devenu complètement fou, raconte François Blondel. En ce temps-là, on était censé rester dans la même société jusqu’à la pension, comme mon beau-père l’avait fait chez Shell et ma belle-mère chez Solvay. Mais moi, je voulais devenir entrepreneur, même si, autrefois, c’était très mal vu. Pour beaucoup de gens, les chefs d’entreprise étaient des personnes malhonnêtes. ”

Commence alors une décennie agitée, pendant laquelle IBt surmontera de multiples revers pour se transformer finalement en une affaire rentable, cotée en Bourse et employant 200 personnes. Au terme d’une âpre bataille juridique avec l’actionnaire principal Andreas Eckert, François Blondel entre en 2010 dans le capital d’IBt, qui est toujours en Bourse sous le nom de Eckert & Ziegler BEBIG. ” J’ai gagné l’affaire, mais ce fut une victoire à la Pyrrhus, car j’ai dû vendre mes actions et donc abandonner mon ‘bébé’ “, poursuit François Blondel, qui avait commencé dès 2004 à investir dans d’autres entreprises. ” Parce que la Belgique est une région où il fait bon vivre, et parce que je tiens absolument à ce que cela reste un pays de Cocagne, pour mes quatre enfants et ceux des autres. ”

Création d’emplois

Après son départ d’IBt en 2010, François Blondel collectionne les contrats de consultant et d’administrateur indépendant. ” Mais au bout de deux ans, je savais que je m’étais fourvoyé, reconnaît-il. J’avais besoin d’être plus actif, et pas uniquement de donner l’un ou l’autre avis à une réunion de CA puis de revenir quelques mois plus tard pour voir ce que cela avait donné. ”

En 2013, François Blondel est nommé CEO de la firme pharmaceutique KitoZyme. Parallèlement, il exerce des rôles opérationnels chez KioMed Pharma, oncoDNA (élue entreprise la plus prometteuse de 2015, Ndlr) et Delphi Genetics, et investit dans neuf autres sociétés, dont Nanocyl, Ovizio, Valore, Cardiatis et Uniteq. ” Je ne peux pas faire plus ; les journées ne comptent malheureusement que 24 heures “, plaisante François Blondel, qui a déjà contribué à mettre sur pied une vingtaine d’entreprises et procuré ainsi du travail à un bon millier de personnes.

” Comme investisseur, j’ai enregistré des succès exceptionnels, reconnaît François Blondel. Comme chez Celyad, par exemple, qui s’appelait encore Cardio3 BioSciences à l’époque, et où je suis arrivé avant l’entrée en Bourse. Les investisseurs qui m’ont accordé leur confiance et qui m’ont suivi ont vu leurs placements multipliés par 15. ”

Des temps difficiles

François Blondel a son bureau chez KitoZyme, à Herstal. ” KitoZyme ne quitte jamais mes pensées “, affirme-t-il. Il faut dire que cette spin-off de l’ULg fondée en 2000 a connu des temps difficiles. ” KitoZyme a eu énormément de chance “, admet le CEO. L’entreprise développe des produits à base de chitosan, une fibre végétale. ” Pendant 12 ans, elle a étudié tous les domaines d’application possibles et imaginables. Quand on est un grand groupe, cela ne pose pas de problème, mais pour une PME, c’est beaucoup plus lourd. ”

KitoZyme a eu énormément de chance.

Entre 2009 et 2012, KitoZyme a enregistré une perte nette cumulée de quelque 20 millions d’euros. Si l’entreprise a survécu, c’est grâce à la ténacité des familles Mestdagh et Montulet, qui contrôlent 70 % du capital. Blondel, quant à lui, en détient 10 %, et les institutions publiques Meusinvest et SRIW le reste. Mais c’est François Blondel qui a mis bon ordre à la situation. Deux ans à peine après son arrivée, KitoZyme atteignait un seuil de rentabilité. Cette montée en puissance lui a valu d’être élue entreprise Technology Fast 50 par Deloitte en 2014 et 2015.

Label propre

François Blondel se concentre sur trois domaines d’application du chitosan. Les deux premiers sont le contrôle pondéral, le chitosan ayant la propriété de stocker les graisses contenues dans les aliments avant de les éliminer, et la digestion. La troisième application est… la viticulture. ” L’année dernière, nous avons traité plus de 100 millions de bouteilles de vin rouge avec nos produits. Le chitosan capte une bactérie qui abîme le vin ; le dépôt qui en résulte est ensuite extrait des tonneaux par filtration. ” François Blondel a quatre autres applications potentielles du chitosan dans le pipeline.

Pour le moment, KitoZyme produit surtout sous licence pour des tiers, comme Omega Pharma et Sanofi. ” Mais dans une prochaine phase, nous vendrons sous notre propre label “, affirme François Blondel. L’entreprise lancera déjà ses propres produits en Asie dans le courant de cette année. ” En Chine aussi, j’espère. Il y a un potentiel énorme, là-bas. ” Le chitosan est un marché se chiffrant en milliards, or il est surtout utilisé en Asie. ” Mais il s’agit toujours de chitosan animal, explique François Blondel. Nous sommes la seule entreprise à produire du chitosan végétal, à partir de champignons. Nous allons certainement connaître une croissance importante. Je pourrais même dire que the sky is the limit, mais je préfère rester prudent. Il faut savoir gérer les attentes. ”

100.000 Entrepreneurs

Pour promouvoir l’entrepreneuriat, François Blondel est engagé dans toute une série d’ASBL : la coupole de biotech wallonne BioWin ; Women on Board, qui milite pour une présence accrue des femmes dans les conseils d’administration ; et le Caring Entrepreneurship Fund de l’ex-patron d’UCB, Roch Doliveux, qui soutient les entrepreneurs.

Les faillites aussi ont leur importance, parce qu’on peut bâtir dessus.”

Et puis, il y a 100.000 Entrepreneurs. ” C’est un projet génial, parce qu’il regroupe les deux questions que j’estime cruciales : formation et esprit d’entreprise “, s’enthousiasme François Blondel. L’association, qui est active à Bruxelles et en Wallonie uniquement, fait venir des entrepreneurs dans des classes du secondaire afin de faire comprendre aux élèves l’importance de l’entrepreneuriat pour ces régions. Aux manettes, on retrouve François Blondel ainsi que les chefs d’entreprise Pierre Rion (Iris) et Eric Everard (Artexis). ” Je n’ai pas peur de dire qu’on ne doit pas craindre l’échec, explique François Blondel, qui n’a pas encore défini les contours de la suite de sa carrière. J’ai moi-même réalisé des investissements dans plusieurs entreprises qui ont capoté par la suite. Mais les faillites aussi ont leur importance, parce qu’on peut bâtir dessus. Un jour, j’étais à une réunion PetroFina aux Etats-Unis, pour écouter un patron de Goldman Sachs – qui jouissait encore à l’époque de tout son prestige. Il a commencé son allocution en disant qu’il avait fait faillite deux fois. Son message, c’était : ‘J’ai essuyé des fiascos, et regardez où j’en suis’. Aux Etats-Unis, c’est tout juste si l’échec n’est pas récompensé par un diplôme. Nous devons donc oser beaucoup plus. ”

” J’ai déjà souvent envisagé de créer un fonds d’investissement, dit-il. J’en suis déjà à ma troisième vie professionnelle, et il y a en aura donc peut-être une quatrième. La seule chose qui compte, c’est de prendre du plaisir à ce que je fais. Et si c’est possible, je continuerai comme ça jusqu’à mes 95 ans. ”

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