Oslo sera demain plus proche de Bruxelles que Londres

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Les liens qui unissent la Norvège et l’Union européenne sont étonnamment étroits. Certains Britanniques envisagent ce même statut pour l’après-Brexit. Bien à tort, ont prévenu les Norvégiens.

Non, aucun TGV ne reliera prochainement la capitale norvégienne à celle de l’Europe en moins de temps que l’Eurostar ne le fait pour la capitale britannique. Ce n’est pas de transport qu’il s’agit, mais de relations économiques. Que le Brexit soit vraiment dur ou pas, il est possible, voire probable, que les relations entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne soient plus distantes qu’entre l’Union et la Norvège. Etonnant, voire incroyable ? A première vue seulement car si le pays est plus rétif que jamais à l’égard d’une adhésion à l’Union, il en est en réalité fort proche à plusieurs niveaux… et il participe très largement à ses dépenses. Quelques coups de projecteur sur un statut aussi surprenant que méconnu.

CEE + AELE = EEE

Les Norvégiens n’ont jamais souhaité adhérer à l’Union européenne. Ils furent 53,5 % à refuser le Marché commun lors du référendum de septembre 1972 et 52,2 % en novembre 1994. Ce rejet a même pris beaucoup d’ampleur au cours des dernières années, la proportion d’opinions négatives flirtant aujourd’hui avec la barre des 70 %. Loin des yeux, loin du coeur… mais proche des lois, des règlements et du budget ! Un petit retour en arrière s’impose pour comprendre ce paradoxe.

Deux blocs dominent la scène économique du Vieux Continent dans les années 1960. La Communauté économique européenne (CEE), communément appelée Marché commun, est née en 1957 et regroupe l’Allemagne la France, l’Italie et les pays du Benelux. Trois ans plus tard, en réaction, l’Association européenne de libre-échange (AELE, ou EFTA en anglais) voit le jour. Ses fondateurs sont sept, mais elle ne comporte qu’un poids lourd : la Grande-Bretagne. Celle-ci est accompagnée par le Danemark, la Norvège et la Suède, ainsi que par l’Autriche, le Portugal et la Suisse. L’Islande rejoint le club en 1970, la Finlande en 1986 et le Liechtenstein en 1991.

Cette adhésion tardive de la Finlande est assez surprenante, car l’AELE est alors clairement en perte de vitesse : on assiste, dès 1973, à la défection du Danemark et de la Grande-Bretagne, qui passent à la CEE. Même chose pour le Portugal en 1986. L’Autriche, la Suède et… la Finlande suivront en 1995. Président de la Commission européenne, Jacques Delors a entre-temps tendu la main à l’AELE. Après deux ans de négociations, le traité de Porto est signé en mai 1992. Il crée l’Espace économique européen (EEE), au sein duquel se retrouvent les membres des deux clubs.

Oui aux quatre libertés

Les liens ainsi noués entre la CEE (qui s’appellera Union européenne le 1er novembre 1993) et l’AELE sont extrêmement étroits. Le traité de Porto consacre, en effet, les quatre libertés de circulation entre les Etats : marchandises, services, capitaux et personnes. C’est déjà considérable, mais ce n’est pas tout : les pays de l’AELE acceptent également les règles communautaires en matière de concurrence, d’aides publiques, de protection des consommateurs, ou encore d’ouverture des marchés publics. Dès le 1er janvier 1994, date d’entrée en vigueur de l’EEE, les deux camps forment dès lors presque une véritable union économique, avec pour exception l’absence d’harmonisation des tarifs douaniers. Seule la Suisse refuse l’Espace, par référendum. Elle se rapprochera toutefois graduellement de l’Union en signant divers accords bilatéraux.

Le succès économique norvégien n’aurait pas été possible sans les migrants, proportionnellement plus nombreux qu’en Grande-Bretagne.

Accepter les règles communautaires signifie clairement, pour les pays de l’AELE, intégrer dans leur propre législation une bonne partie des lois et réglementations édictées par l’Union. Ainsi un ministre norvégien plaisantera-t-il dès 2001 : ” Chez nous, les lois ne sont pas votées par le Parlement : elles arrivent par fax de Bruxelles. ” Tirant un bilan officiel après trois lustres d’adhésion à l’Espace économique européen, le ministère norvégien des Affaires étrangères observera que le pays avait, en 2010, adopté 70 % des directives et 17 % des règlements prévalant dans l’Union. Compte tenu du fait que l’EEE concerne le seul plan économique, au sens large il est vrai, mais en ignorant des matières comme la politique étrangère, la culture, ou encore la santé, on convient que la proportion est considérable. Et tout ceci de gaieté de coeur ! Ou du moins avec une indolente résignation. Les législations d’une certaine importance, qui doivent être approuvées par le Parlement d’Oslo, l’ont, en effet, été à l’unanimité dans 92 % des cas.

Subsides norvégiens pour la Pologne

Autre contrepartie pour bénéficier de l’accès au marché intérieur de l’Union, souvent appelé ” marché unique ” : cracher au bassinet. Certes, les pays de l’AELE n’alimentent pas le budget de l’Union proprement dit, puisque ce dernier ne les concerne pas. Par contre, ils participent au développement des régions défavorisées, via deux programmes spécifiques. Ils ont apporté 1,3 milliard d’euros entre 2004 et 2009 et 1,8 milliard durant les cinq années suivantes. Principaux bénéficiaires : la Pologne pour 32 % et la Roumanie pour 17 %. Qui paie ? La Norvège ! A 95,8 % pour le premier de ces programmes, nommé EEA Grants, auquel l’Islande et le Liechtenstein participent fort symboliquement. Et forcément à 100 % pour le second, puisqu’il s’appelle Norway Grants… La contribution annuelle d’Oslo se monte actuellement à 391 millions. La Norvège participe également au financement de programmes tels qu’Horizon 2020, Erasmus+, Galileo, etc. Coût annuel : 447 millions. Si l’on y ajoute quelques autres bricoles, on arrive à un total dépassant les 850 millions d’euros par an.

Cette deuxième catégorie de programmes profite à tous les pays, Norvège comprise. A combien s’élèverait dès lors la contribution nette d’Oslo à l’Union européenne ? Impossible à affirmer avec précision. Pour le think thank Open Europe, elle se monterait à 107 euros par habitant, contre 139 euros pour la Grande-Bretagne. Pas beaucoup moins, donc. Le groupe d’études In Facts, également britannique, arrive lui à 96 euros… pour les deux pays.

Pas compatible avec le Brexit !

Depuis le vote du Brexit, plusieurs voix se sont élevées en Grande-Bretagne pour suggérer une alliance avec l’Union européenne à la manière de la Norvège, en rejoignant l’AELE. Certains jugent visiblement que ce pays profite à la fois du beurre et de l’argent du beurre. Une vue simpliste qui suscite quelques railleries du côté norvégien. Dans un premier temps, Oslo avait même laissé entendre qu’il n’était pas nécessairement dans son intérêt de permettre à l’encombrante Albion de jouer les trouble-fêtes dans un mini-club de petits Etats bien tranquilles. En visite en décembre à Londres, Boerge Brende, ministre norvégien des Affaires étrangères, a toutefois atténué ces propos.

Dans une interview à la BBC, il a, par contre, rappelé que la Norvège est presque membre de l’UE, mais sans avoir voix au chapitre et au prix d’une importante contribution financière. Elle s’en accommode, mais serait-ce le cas de la Grande-Bretagne ? Même chose pour la libre circulation des citoyens au sein de l’Union. Pour Kristin Kogen, directrice générale de NHO, la FEB norvégienne, le succès économique du pays, peuplé de cinq millions d’habitants à peine, n’aurait pas été possible sans les migrants, proportionnellement plus nombreux en Norvège qu’en Grande-Bretagne.

En un mot comme en 100, ce qu’Oslo accepte, c’est précisément ce que les Britanniques ont refusé par la voie du Brexit. Dès lors, on imagine mal comment la Grande-Bretagne pourrait emprunter la ” voie norvégienne “. Il est décidément très plausible que Londres soit demain plus éloigné de Bruxelles qu’Oslo !

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