La descente aux enfers de l’Afrique du Sud

Le président sud-africain Jacob Zuma est à nouveau parvenu à rapprocher son pays du très redouté statut d’émetteur de ” junk bonds “, c’est-à-dire d’obligations de pacotille. Zuma a bouleversé son cabinet et limogé une série de ministres. C’est surtout la démission du ministre des Finances Pravid Gordhan qui inquiète les investisseurs. Gordhan s’opposait régulièrement aux projets (coûteux) du président. Il a été remplacé par le ministre de l’Intérieur Malusi Gigaba, qui n’a pas la moindre expérience financière ou économique.

La démission de Pravid Gordhan fait craindre aux investisseurs que l’assainissement des finances publiques ne soit plus une priorité pour Zuma. Depuis 2010 – Zuma est au pouvoir depuis 2009 et autour de lui les scandales de corruption se multiplient -, la dette publique a augmenté de 30 % à près de 50 % du produit intérieur brut (PIB).

La semaine qui a suivi le licenciement de Gordhan a été la pire depuis 2016 pour le rand sud-africain. Elle a mis provisoirement un terme à l’appréciation remarquable de la devise, la plus performante au monde l’an dernier derrière le réal brésilien et le rouble russe.

Pacotille

Plus Zuma se maintiendra longtemps au pouvoir, moins il restera de la réputation jadis si solide de l’Afrique du Sud sur les marchés financiers. Depuis la fin de l’apartheid, le gouvernement sud-africain était parvenu à accroître nettement les dépenses sociales sans laisser déraper les finances publiques. Cette politique prudente a été récompensée par une note ” investment grade ” (BBB-), qui correspond à un faible risque de défaut de paiement, chez les évaluateurs de crédit Standard & Poor’s (S&P) et Fitch en 2000. En 2005, la note atteignait déjà BBB+.

Aujourd’hui, l’Afrique du Sud est sur le point de perdre à nouveau son statut investment grade. En réaction à la vague de limogeages, S&P a réduit les obligations publiques sud-africaines en monnaies étrangères au statut d’obligations de pacotille (de BBB- à BB+). La note des obligations publiques en rand a également été abaissée (à BBB-), mais elle échappe pour l’instant à l’étiquette ” de pacotille “. Les perspectives de ces notes restent négatives. Chez Fitch et Moody’s, les notes de solvabilité des obligations publiques en rand étaient toujours en terrain investment grade (BBB- chez Fitch et Baa2 chez Moody’s), mais les perspectives également négatives.

L’attribution d’un statut ” de pacotille ” aux obligations sud-africaines en rand par deux des trois grands évaluateurs de crédit déclencherait une vague de vente qui pèserait à la fois sur les cours des obligations et de la monnaie sud-africaines. Un tiers de la dette publique sud-africaine en rand est en effet détenue par des investisseurs étrangers. Une telle vague de vente ne serait pas uniquement la conséquence d’une perte de confiance chez les investisseurs. De très nombreux fonds de placement qui investissent exclusivement en obligations investment grade n’auraient d’autre choix que de vendre leurs obligations publiques sud-africaines.

Opposition

Le mandat présidentiel de Zuma court encore jusqu’en 2019, mais il est de plus en plus probable qu’il n’aille pas au bout. Car l’opposition prend de l’ampleur. Tant que l’ANC de Zuma conserve la majorité absolue au Parlement, l’opposition est assez impuissante, mais on note un mécontentement croissant au sein du parti.

L’ANC choisira un successeur à Zuma à la présidence du parti à la fin de cette année. Plusieurs membres du parti, dont le vice-président de l’ANC Cyril Ramaphosa, se sont exprimés contre le limogeage de Gordhan et de ses collègues. Manifestement, Zuma aurait placé la direction du parti devant le fait accompli. La fronde croissante pourrait contraindre Zuma à remplacer son nouveau ministre des Finances par un candidat expérimenté, comme il avait déjà dû le faire après le limogeage de Nene fin 2015.

Très spéculatifs

Il est clair que les investissements en obligations en rand sud-africain sont devenus nettement plus spéculatifs avec Jacob Zuma à la barre. Le dernier contrepoids qui maintenait Zuma sur une trajectoire financièrement soutenable a disparu avec Gordon. Zuma a promis que le nouveau cabinet oeuvrerait à une ” transformation socio-économique radicale “. Difficile d’entrevoir ce qu’il entend par là, même si Zuma avait déjà évoqué dans un discours de février des ” changements dans la structure, les systèmes, les institutions et les modèles de propriété, la gestion et le contrôle de l’économie au profit de tous les Sud-Africains, en particulier les pauvres “. Le risque est réel qu’avec la disparition de Gordhan, Zuma veuille accroître son emprise sur l’économie via des entreprises d’État déjà surendettées, ce qui affecterait encore plus la confiance des investisseurs dans les finances publiques.

Un statut ” de pacotille ” pour les obligations publiques sud-africaines en rand entraînera une chute de la monnaie et des cours des obligations. Pour les investisseurs conscients des risques, cela ouvrirait cependant une fenêtre d’entrée intéressante : les obligations en rand affichent en effet un rendement très attrayant qui offre une compensation suffisante pour le risque. Car l’Afrique du Sud reste l’économie la plus avancée d’Afrique, avec une démocratie relativement fonctionnelle. Limitez cependant la position vu le risque politique.

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