Éric Domb: “Le projet Pairi Daiza pourrait me mener à la ruine totale”

© EMY ELLEBOOG

Ceux qui pensaient qu’Eric Domb avait trouvé une certaine quiétude à la suite de la sortie de Bourse de son célèbre parc animalier Pairi Daiza avaient tort…

“Je vais vous faire un aveu : je déteste les photos, s’empresse de déclarer Eric Domb à notre photographe. Je suis très timide en réalité. ” Le flamboyant CEO a le teint hâlé : il est allé dévaler les pistes de ski pendant quelques jours avec de vieux amis, dans la foulée d’un voyage d’études en Indonésie en lien avec son parc. ” Je me demande parfois si je n’ai pas choisi ce travail pour pouvoir avoir des excuses pour être en permanence en voyage “, affirme Eric Domb en riant. Pairi Daiza est l’attraction commerciale la plus populaire de notre pays. Une notoriété qu’il doit en partie au couple de pandas chinois arrivé en 2014 et à la naissance de leur petit l’année dernière.

Profil

Né à Uccle le 11 novembre 1960

Après un diplôme en droit décroché à l’UCL, il intègre le groupe Coopers & Lybrand, puis fonde une société de conseil financier aux PME.

En 1994, il crée le Parc Paradisio sur le site de l’ancienne abbaye de Cambron-Casteau. Le parc entre en Bourse six ans plus tard.

En 2010, Paradisio est rebaptisé Pairi Daiza.

En 2015, Eric Domb et Marc Coucke s’associent pour racheter l’ensemble des actions du parc animalier et sortir la société de la Bourse.

ÉRIC DOMB. Je possède 69 % des parts, et le reste est aux mains de Marc Coucke. Je suis allé le trouver parce qu’il m’était impossible de financer seul la sortie de Bourse et que j’avais eu vent qu’il détenait des parts. Il a tout de suite accepté de m’aider. L’accord passé avec Marc est d’ailleurs on ne peut plus simple. Il me laisse carte blanche pour développer le projet.

Vous ne craignez pas d’avoir fait entrer un cheval de Troie avec lui ?

Il m’a assuré que cet investissement était destiné à ses enfants, et je le crois. Il n’aura cependant jamais la majorité des parts, à moins qu’il ne rachète celles de mes trois enfants. Mais je leur fais confiance. Ils savent que j’ai consacré toute ma vie à ce projet. Bien que j’aie conscience que mes enfants pourraient vivre comme des rois s’ils cédaient leurs parts. Mais imaginez-vous qu’un jour, de nouveaux actionnaires décident de construire des montagnes russes dans le parc. Financièrement, ce ne serait pas bête. La combinaison existe déjà à Orlando et fonctionne très bien. Cela dit, j’ai 56 ans, et je n’ai pas accompli tout cela pour voir Pairi Daiza terminer entre les mains d’individus ne partageant pas mes valeurs.

On parle quand même de la construction d’hôtels, non ?

Je ne suis que de passage. Mes poches seront vides à ma mort.”

Longtemps avant notre sortie de Bourse déjà, j’avais signalé vouloir permettre aux visiteurs de séjourner une nuit au parc. Nous souhaitons installer une capacité de 500 chambres, répartie sur l’ensemble du parc. J’ai énormément voyagé, dans plus de 60 pays, et il m’est arrivé de dormir par terre, sur les toits de maisons, dans la jungle et dans des palais. J’en connais donc un rayon en matière d’hébergement. Ce sera une expérience très intéressante. Car s’il y a une chose dont je suis sûr, c’est que ce sera amusant. Une première phase prévoit la construction d’une cinquantaine de chambres. Seront-elles disponibles en 2018 ou 2019 ? Tout dépend des problèmes que nous rencontrerons.

Comment comptez-vous financer ce projet ?

C’est très simple : on va utiliser notre trésorerie et aller négocier de nouveaux emprunts auprès des banques. J’ai absolument besoin de leur confiance, car contrairement à ce que d’aucuns croient, je ne dispose pas de montagnes d’or.

Allez-vous demander l’avis de Marc Coucke à propos de ces hôtels ?

Je ne vais pas aller le lui demander, mais je le recevrai avec joie (rire). Marc est un homme intelligent. C’est toujours agréable d’avoir à vos côtés quelqu’un qui vous stimule, ce qui n’a peut-être pas été assez le cas par le passé. Ce que j’aime le plus chez lui, c’est son enthousiasme. Des gens comme lui, il y en a peu.

Combien de visiteurs avez-vous accueillis en 2016 ?

Plus qu’en 2015, qui était déjà un excellent cru avec 1,8 million de visiteurs. Cela dit, comme nous n’y sommes plus obligés depuis notre sortie de Bourse, nous ne souhaitons plus dévoiler nos chiffres. Ils ne font que renforcer l’envie et la jalousie de ceux qui s’épanchent dans les médias. Récemment encore, quel qu’ un a utilisé le mot ” voler “, comme si le parc était un gâteau dont nous confisquerions une grande part. Pourtant ce gâteau, c’est nous qui l’avons mis au four.

Garder les chiffres secrets peut donner l’impression que vous avez quelque chose à cacher, non ?

Précisément. Autant dire que je suis perdant sur toute la ligne. L’ignorance du public nous joue des tours, et je ne peux jamais baisser la garde. Prenez Marc. Lorsque je lis que nous construisons ces hôtels avec son argent, c’est non seulement faux, mais en plus cela vient aviver la haine de certains. Malheureusement les seuls qui s’expriment. Je devrais presque exercer un droit de réponse tous les jours. Tout cela nous nuit considérablement.

Pairi Daiza vous apporte déjà son lot de problèmes, et pourtant vous vous êtes mis en tête de développer le projet Nassonia : une forêt de 1 .500 ha près de Rochefort que la Fondation Pairi Daiza souhaite louer au bénéfice de la biodiversité. Tout cela ne s’apparente-t-il pas à du masochisme ?

C’est vous qui le dites. J’ambitionne dans le cadre de ce projet de promouvoir l’harmonie entre la forêt et l’homme. Il s’agit d’un engagement sans perspective de profits. Ce projet n’est donc pas comparable au modèle de Marc à Durbuy ou de Pairi Daiza. Ceux qui ne souhaitent pas le voir aboutir sont d’ailleurs nombreux. Mais je persiste, parce qu’il y a aussi des centaines de personnes qui y croient. Même si le découragement me gagne parfois et que j’ai déjà hésité à abandonner ce projet une bonne centaine de fois.

Les pandas font figure de jackpot pour Pairi Daiza.

Le jackpot, c’est de l’argent qui vous tombe du ciel. Je ne vais pas vous refaire tout l’historique de l’arrivée des pandas, mais sachez que nous étions les seuls à travailler comme des malades sur ce dossier. C’est à notre travail acharné que nous devons d’être parvenus à le boucler dans les temps. Il est vrai que ce projet a coûté et coûte toujours beaucoup d’argent. Il faut compter des millions d’euros pour les infrastructures, et chaque année, des centaines de milliers d’euros pour les autorités chinoises. Le bébé panda a lui aussi été assimilé au jackpot. Mais alors pourquoi il n’en naît pas dans d’autres parcs, des bébés pandas ? Lorsqu’il est apparu que la mère était fertile, nous avons fait venir de Chine l’une des plus éminentes expertes en insémination de pandas. En plein Nouvel An chinois ! Et elle y est arrivée, avec l’aide de spécialistes de l’Université de Gand. Mais visiblement, certains ont du mal à réaliser que l’on récolte ce que l’on sème. C’est insupportable.

Vous avez déjà reproché à la Wallonie de manquer d’ambition. Vous êtes pessimiste ?

La gestion pour moi est plus une contrainte qu’un plaisir. Je me sens à l’aise au milieu des arbres, des animaux et des pierres.

Je suis un optimiste frustré (rire). Je reste optimiste, car je sais que les Wallons finiront par se réveiller. Je suis cependant frustré, car nous perdons beaucoup de temps. Alors, je secoue le cocotier. Malheureusement, on ne parle pas en Wallonie de l’importance de ceux que je qualifie de catalyseurs : des individus comme moi qui exercent un impact positif sur le développement de la région par leurs investissements. Nous ne sommes pas valorisés. Au contraire, on nous taxe de mégalos imbéciles. Et lorsque nous réussissons, certains syndicalistes nous perçoivent comme de riches profiteurs. Pairi Daiza est bien plus que le caprice ou la lubie d’un seul homme, mais, ça, on n’entend jamais personne le dire. L’envie et la jalousie dominent les débats, alors que nous payons chaque année des millions d’euros d’impôts et versons des centaines de milliers en taxes à la commune, que nous créons de l’emploi et que nous jouons un rôle essentiel dans l’écosystème de la région. Quant à moi, on me décrit comme un rapace. Ce que je déplore, c’est que personne ne s’offusque des revenus souvent faramineux de certains sportifs ou de certaines célébrités, alors que leur contribution à notre développement socio-économique est quasi nulle. Alors que des gens comme Marc Coucke ou moi sont constamment en ligne de mire. Mon projet est pourtant susceptible de me mener à la ruine totale. Imaginez-vous par exemple qu’une catastrophe se produise dans le pays ou que les visiteurs n’apprécient pas nos investissements. Ce serait notre arrêt de mort. Je mets tout mon patrimoine en jeu pour rendre le parc plus beau, lui conférer plus de lustre et le rendre plus culturel, tout en créant des centaines d’emplois. Et je lis dans les journaux qu’il ne s’agit pas de jobs de qualité. Pardon ? Randstad dresse chaque année la liste des employeurs les plus attractifs de la région. Il y a plusieurs années, Pairi Daiza figurait en tête de ce classement, et de loin. ”

Quelle critique vous a-t-elle le plus touché ?

Que j’ai monté ce parc pour moi. Je ne suis pourtant que de passage. Mes poches seront vides à ma mort. Les insultes selon lesquelles je serais mégalo ne sont qu’un symptôme de plus de cette maladie que je nomme la culture de la médiocrité. Dans les pays qui disposent de beaux musées, de grandes entreprises et de vastes parcs d’attractions, les dirigeants d’entreprise ne sont pas perçus comme des mégalos. Même si Pairi Daiza accueillait 3 millions de visiteurs par an, ça ne représenterait toujours rien à côté des parcs américains ou même d’Efteling ou de l’Europapark en Allemagne. Là-bas, les patrons sont appréciés dans leur région. Reconnus. Encouragés. Ils participent au succès collectif. Alors que moi on me prend pour un mégalomane… Eh bien, dans ce cas, la Wallonie en a bien besoin de mégalos. Si moi, qui suis un acteur de moyenne envergure dans mon secteur, je suis un mégalomane, alors cela revient à dire que nous ne souhaitons pas accueillir d’acteurs mondiaux dans notre région. Tant que de tels commentaires fuseront, l’esprit d’entreprise sera bridé dans notre région.

Les relations avec le zoo d’Anvers, déjà difficiles avant la guerre des pandas, se sont-elles normalisées ?

L’écrivain français Barbey d’Aurevilly a un jour déclaré qu’il était difficile de rester longtemps ennemis. Je ne pense pas que Dries Herpoelaert (le directeur du Zoo d’Anvers et du parc animalier Planckendael, Ndlr) et moi-même partirions ensemble en vacances. Néanmoins, il est temps de tourner la page. Nous nous sommes tous les deux exprimés sur ce que nous trouvions injuste.

Pour l’heure, Pairi Daiza ferme ses portes de la mi-novembre à avril. Vous souhaiteriez cependant ouvrir plus longtemps ?

Je pense aux vacances de Noël et de la Toussaint, et aux week-ends en hiver. Cela dit, nous allons probablement attendre encore deux ou trois ans, le temps de terminer la Terre du Froid, notre huitième zone thématique, qui devrait accueillir une centaine de chambres d’hôtel. Ce sont des travaux impossibles à réaliser si le parc est ouvert.

Vous envisagez d’étendre encore davantage le parc ?

Il fait 55 ha aujourd’hui, et le parking 19. Je souhaiterais intégrer cet espace de parking au parc. C’est la raison pour laquelle nous avons acheté les terrains adjacents de façon à pouvoir déplacer le parking. Cela devrait aussi permettre de fluidifier le trafic. Le domaine compte 130 ha au total, mais nous ne construirons jamais dans certaines zones. La partie destinée aux visiteurs fera alors 80 ha. Vous trouvez ça mégalo, vous ?

Combien de travailleurs le parc emploie-t-il ?

Plus de 300 équivalents temps plein. Nous réalisons la majorité de nos investissements auprès d’entreprises belges, surtout wallonnes. Par conséquent, nous créons aussi de nombreux emplois indirects. Tous nos investissements prévus dans les prochaines années vont déboucher sur la création d’au moins 900 emplois à temps plein. Si nous parvenons à rester ouverts toute l’année, nous pourrons offrir des CDI à davantage de nos travailleurs saisonniers. Le nombre de travailleurs devrait avoisiner les 1.200 à 1.300 dans les prochaines années. Un beau défi, vu notre culture familiale. Adapter celle-ci aux contraintes d’une organisation beaucoup plus large, sans perdre notre âme, n’est pas une mince affaire.

Où vous voyez-vous dans 10 ans ?

Il est clair que je pourrais réaliser une belle plus-value en revendant Pairi Daiza, mais je n’en ai pas envie. Arrivera le moment où il n’y aura plus de grands plans d’investissement. Selon mes estimations, les grands travaux devraient être achevés d’ici sept ou huit ans. Je pourrai alors à nouveau faire du jardinage, arracher les mauvaises herbes, régler de petits détails. Ce sera le moment de passer le témoin, en toute logique. Et j’ai envie de dire, enfin ! Car la gestion pour moi est plus une contrainte qu’un plaisir. Etre CEO n’est pas une fonction qui me plaît. Je me sens à l’aise au milieu des arbres, des animaux et des pierres. C’est cela mon monde, ce qui me passionne. Coacher, gérer et diriger ? Très peu pour moi. J’ai conscience de mes faiblesses. Vous ne pouvez être un supermanager si vous n’aimez pas ce rôle. Je n’aurais d’ailleurs jamais dû être nommé Manager de l’Année. En revanche, si le prix de “catalyseur de l’année” existait, je le mériterais certainement.

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