L’absentéisme coûte 2 milliards d’euros aux entreprises

© ISTOCK

Selon une étude réalisée par Group S, l’absentéisme a atteint l’année dernière des chiffres inquiétants. Sur 23.288 entreprises sondées, représentant 281.853 contrats à temps plein, le taux d’absentéisme s’élève à 5,19 %. Un manque à gagner criant pour l’économie belge.

On pressentait l’importance du phénomène. Il se confirme. Par le biais du secrétariat social Group S et de ses milliers d’entreprises affiliées, les chiffres de l’absentéisme (près de 5 %) apparaissent comme une chape de plomb, pesant de tout son poids sur l’économie belge et creusant le trou, déjà béant, de nos finances publiques.

En 2016, selon l’Inami, l’absentéisme aurait ainsi coûté 5 milliards d’euros à la sécurité sociale. En comparaison, le coût du chômage aurait, lui, atteint 6,24 milliards pour la même année. Si l’Etat pâtit de la situation, il en va de même pour les entreprises qui, d’après Group S, perdraient 2 milliards d’euros par an dans la bataille en frais directs (salaires garantis, cotisations patronales) et indirects (coûts de gestion, d’image, etc.). Parmi les postes les plus coûteux, figurent les coûts de remplacement, corollaires d’une absence prolongée et particulièrement lourds à supporter pour l’employeur. ” Remplacer quelqu’un équivaut souvent à former un nouveau candidat de A à Z, explique Gonzales Stubbe, CEO de Group S. Suivant la complexité des tâches, ce processus peut prendre des semaines, voire des mois. De plus, force est de constater que les métiers sont aujourd’hui de plus en plus intellectuels, impliquant un caractère technologique de plus en plus évolué. La formation s’en retrouve alors complexifiée. ”

L’enquête de Group S dessine également les contours de l’absentéisme et en précise les caractéristiques sociologiques et géographiques. L’on apprend ainsi que la Wallonie enregistre les chiffres les plus élevés en la matière (5,73 %), devant Bruxelles (4,94 %) et la Flandre (4,79 %), tandis que la tranche d’âge 56-60 ans (6,14 %) est la plus souvent absente, loin devant les 21-25 ans (3,87 %). Enfin, les hommes (4,84 %) affichent, eux, une présence supérieure à leurs homologues féminins (6,1 %).

Encore et toujours le burn-out

Les absences recensées sont dans la plupart des cas imputables à des problèmes physiques, a fortiori dans des secteurs manuels, mais également psychiques. Le mal-être au travail, ou burn-out, est ici pointé du doigt, provoquant de véritables hécatombes au sein des travailleurs, et ce, indépendamment de leur place dans l’organigramme (direction, cadres, ouvriers, employés).

En 2016, selon l’Inami, l’absentéisme aurait coûté 5 milliards d’euros à la sécurité sociale.

Si le phénomène n’est pas nouveau (de tout temps, le stress et les dépressions ont existé en entreprise), il tend, c’est vrai, à se raffermir. En cause ? La difficulté pour les travailleurs de faire face aux exigences du monde du travail contemporain dans lequel tout va très vite et qui repose sur des outils, des processus et des modes d’organisation nouveaux. ” Ce sont surtout les générations n’étant pas nées – et donc habituées – avec ces pratiques nouvelles qui souffrent de la situation, explique Gonzales Stubbe. Pour eux, cette réorganisation du travail s’avère très anxiogène. ”

Profiteurs

Autre facteur aggravant ? La récupération par certains d’un trouble aux frontières peu définies. ” Le burn-out est aujourd’hui, et dans certains cas, devenu le cheval de Troie d’une minorité de travailleurs paresseux ou peu excités par leur job “, explique Gonzales Stubbe. Selon lui, s’il convient d’aider les personnes en réelle difficulté, sans minimiser ou banaliser les maladies, les proportions prises par l’absentéisme durant ces 10 dernières années sont réellement inquiétantes. ” Signe que certains profitent du système et viennent alourdir les chiffres de l’absentéisme, analyse le CEO de Group S. A l’heure actuelle, en raison des caractéristiques nébuleuses du burn-out, il est très compliqué pour les médecins d’évaluer la réalité des raisons invoquées par leurs patients pour justifier une incapacité de travail. ”

De la psychologie et du respect

Face à cela, une remise en question profonde de l’ensemble de la chaîne du travail (monde médical, employés, ouvriers, pouvoirs publics) se met doucement en place, de même qu’une amélioration de la structure générale de management, à l’oeuvre depuis quelques années. Acquis à la cause du bien-être de leurs travailleurs (et à l’augmentation de productivité qui en découle), bon nombre de dirigeants adoptent bon gré mal gré des techniques de gestion humaine, réputées capables de résorber le gouffre de l’absentéisme mais dont l’efficacité tarde, il est vrai, à se manifester.

” Il existe une différence criante entre la volonté théorique d’améliorer les choses et sa mise en pratique sur le terrain, explique Gonzales Stubbe. Le management, ce n’est pas seulement mettre en place un espace de détente ou une température optimale dans un bureau. Cela relève de choses moins tangibles. C’est de la psychologie et du respect réciproque. Vous pouvez implanter tout ce que vous voulez – écoute, motivation, feed-back, formations, responsabilisation -, si l’élément humain est absent, les effets seront nuls. Il faut donc que tous, de haut en bas, se sentent concernés, ce qui fait trop souvent défaut dans les entreprises. ”

Gonzales Stubbe:
Gonzales Stubbe: “Il est très compliqué pour les médecins d’évaluer la réalité des raisons invoquées par leurs patients pour justifier une incapacité de travail.”© BELGA IMAGE

Les employeurs prennent aussi conscience de l’importance d’investir dans la qualité du recrutement. Les erreurs de casting sont légion et il faut, pour éviter toute déconvenue, s’assurer de la parfaite adéquation entre une fonction (eu égard aux charges de stress qu’elle génère) et les compétences, la qualification et la personnalité d’un candidat. ” Pour régler le problème en amont “, conclut Gonzales Stubbe.

Nouvelles règles pour la réintégration

Repenser le management et lutter efficacement contre l’absentéisme, c’est aussi améliorer la proactivité de l’employeur pour faciliter la réintégration des travailleurs dans l’entreprise. Depuis le mois de janvier, de nouvelles règles juridiques ont été adoptées en ce sens. Jusqu’alors, le patron subissait de plein fouet l’absence de ses collaborateurs. Il espérait leur retour précoce, sans réelle possibilité d’action en cas d’incapacité prolongée.

Désormais, il peut lui-même initier, sous certaines conditions, leur réintégration dans l’entreprise, notamment en leur confiant un travail adapté (en termes de stress ou de pénibilité) ou carrément un autre poste, et ce, à titre temporaire ou définitif.

S’il est enclenché, le plan de réintégration sera établi de concert par l’employeur, le travailleur et le médecin

Ce plan de réintégration ne trouvera néanmoins à s’appliquer que dans le cas où un conseiller en prévention ou un médecin du travail aura conclu à l’inaptitude du travailleur à exercer son métier et moyennant la non-survenance d’hypothèses empêchant sa réalisation. En effet, la réintégration sera caduque en cas d’inaptitude définitive du travailleur, si un médecin estime qu’aucun travail adapté ou différent n’est possible, si le travailleur n’accepte pas le plan de réintégration pour des raisons justifiées, ou si l’employeur a transmis un rapport motivé dans lequel il explique qu’un tel plan est techniquement ou objectivement impossible.

Dans pareils cas, la réintégration du travailleur n’étant plus possible, cela ouvrira la porte à un licenciement pour force majeure médicale. A contrario, s’il est enclenché, le plan de réintégration sera établi de concert par l’employeur, le travailleur et le médecin. Il devra alors contenir de façon détaillée les mesures à prendre, c’est-à-dire la description des adaptations du poste de travail, la description du travail adapté (ou d’un autre travail), la nature de la formation proposée et la durée de validité du plan. Une fois par an, ce plan sera évalué par un médecin ou un conseiller en prévention et ajusté si nécessaire.

” L’arrivée de cette nouvelle législation est un soulagement pour les employeurs, explique Gonzales Stubbe. Depuis quelque temps, nous constatons que notre service juridique est assailli de questions concernant les fins de contrats. Les employeurs recherchent donc des moyens juridiques permettant d’éviter l’absentéisme et, le cas échéant, la possibilité de se défaire d’un travailleur qui serait dans l’exagération. Ce faisant, ils souhaitent lever les incertitudes médicales d’un travailleur en incapacité. Avec ces nouvelles mesures, ils ont été entendus. ”

Le statut du travailleur protégé pendant sa réintégration

Lors de la réintégration, la priorité sera donnée à la continuation des conditions du contrat de travail tel que prévu avant la mise en place de l’emploi adapté ou des tâches différentes, et ce, par l’instauration d’une présomption légale. Il ne sera donc pas question de suspendre le contrat de travail pendant la période où le travailleur effectuera les tâches adaptées. De même, le délai de préavis ne sera quant à lui pas suspendu si le travailleur est encore partiellement en incapacité de travail. Un travailleur initialement occupé à temps plein ne sera donc pas considéré comme un travailleur à temps partiel pendant cette période. De quoi protéger son statut.

Pour mesurer l’efficacité de ces réformes, Gonzales Stubbe invite à ” les juger sur le long terme et prendre le recul nécessaire “. Il insiste toutefois sur le fait qu’elles vont dans le bon sens et qu’elles permettent d’inculquer auprès des travailleurs des notions de responsabilisation sociétale.

Par Augustin Lippens.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content