DU CAFÉ OUGANDAIS À ANVERS

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Ruinée dans les années 1990, l’agriculture ougandaise s’est doucement relevée au début de la décennie suivante. Elle cultive à nouveau de l’ambition. Illustration avec l’ACPCU, une coopérative de producteurs de café qui s’est associée avec Fairtrade Belgium (ex-Max Havelaar) pour grandir. Au point d’implanter son propre entrepôt à Anvers.

Un air de saxophone dont la fougue fait penser à celle de Sonny Rollins. Puis, de manière tout aussi enjouée, c’est la voix d’Ella Fitzgerald qui prend le relais… Installé à deux pas des Halles Saint-Géry, le restaurant Les Filles s’applique à proposer toute forme de qualité, qu’elle soit auditive, gustative ou même visuelle. Au fond de cet établissement très lumineux, la pièce de réception offre une vue sur un charmant carré de bâtiments paisibles. Au centre, un petit plan d’eau bordé par une terrasse qui attend impatiemment le retour du printemps pour s’animer de nouveau. Un coin secret dont personne ne pourrait soupçonner l’existence en plein centre de Bruxelles. Et certainement pas Nicolas Lambert, le nouveau patron de Faitrade Belgium. Ce trentenaire barbu et souriant essaie d’emmener la quinzaine de journalistes qui lui font face à des milliers de kilomètres de là, en Ouganda. A l’aide d’un PowerPoint, le directeur de Fairtrade Belgium présente les différents objectifs de son organisation qui promeut le commerce équitable.

Créer des ponts

Anciennement appelé Max Havelaar, Fairtrade Belgium cherche à créer des ponts entre les différents acteurs de la consommation : le producteur, le distributeur et, in fine, le consommateur. ” Pour ce faire, nous voulons absolument toucher le côté humain, glisse Nicolas Lambert, qui a lui-même été rencontrer plusieurs paysans en Ouganda. On veut faire comprendre aux producteurs locaux que leur travail compte et convaincre le consommateur du bien-fondé de son achat. ” Actions dans les écoles, sensibilisation dans les entreprises, Fairtrade se montre présent un peu partout pour persuader le monde de la pertinence de son activité. Et cela semble fonctionner : en 2015, les Belges ont consacré 115 millions d’euros à l’achat de produits Fairtrade, soit une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente. L’efficacité de l’organisation dépasse même les frontières et a fini par convaincre une coopérative ougandaise de faire appel à elle, notamment pour se développer à l’intérieur de nos frontières.

6.000 fermiers coopérateurs

Dans les années 1990, en Ouganda, la libéralisation du marché, la chute des prix et la dette à long terme ont forcé un bon paquet de coopératives à fermer leurs portes. Limités à l’exportation, plusieurs villages ont néanmoins continué à collecter leur café tout en collaborant avec des agences pour le commercialiser. En 2006, dans le sud-ouest du pays, un comité de 10 “sociétés de village” a été formé pour devenir l’Ankole Coffee Producers Cooperative Union Limited (ACPCU). Onze ans plus tard, l’entreprise a grandi. Elle est désormais dirigée par cinq personnes démocratiquement élues chaque année par les 6.000 fermiers répartis dans les 17 coopératives qui forment l’ACPCU.

Après avoir écouté le speech de Nicolas Lambert, Stanley Maniragaba et John Nuwagaba prennent à leur tour la parole, en anglais. Ils sont respectivement le directeur des opérations et le directeur général de la société ougandaise. Ces deux entrepreneurs viennent tout droit de Bushenyi, une ville d’un peu plus de 200.000 habitants. Ce sont eux qui ont contacté Fairtrade Belgique l’année dernière pour que l’ACPCU reçoive de l’aide pour continuer à grandir. ” Nous étions sûrs de la très bonne qualité de nos produits, explique ainsi Stanley Maniragaba. Si vous testez un café ‘normal’ après avoir goûté un équitable, je ne veux pas utiliser de langage grossier, donc on va dire que le premier est ‘moins bon’. Surtout que le nôtre n’est pas seulement équitable, il est également bio. Notre problème, c’est qu’on n’avait pas d’argent. Il nous fallait donc de l’assistance pour envisager l’exportation. ”

Une prime au développement

Pour collaborer avec Fairtrade Belgium, ce sont toujours les coopératives qui font le premier pas. Dans le cas de l’ACPCU comme dans celui de beaucoup d’autres associations de producteurs, un partenariat avec une entreprise de commerce équitable a pour avantage de garantir deux éléments importants : le premier est un prix minimum garanti, qui est primordial pour la stabilité et même la survie des paysans ; le second est une prime au développement payée aux producteurs. ” Avec cette prime, on en a notamment profité pour acheter de nouvelles fournitures et suivre des formations pour apprendre de meilleures techniques de production et ainsi grandir progressivement “, raconte John Nuwagaba. Mais la prime est également utilisée pour le développement “indirect”, celui de la communauté entourant la coopérative, avec des projets comme la construction de bâtiments, de routes ou de ponts entre les villages, le paiement des frais de scolarité des enfants ou encore la construction de logements pour les instituteurs.

Implantation anversoise

Selon les propres dires de Stanley Maniragaba, le marché de l’équitable n’est pas celui qui évolue le plus vite. ” Mais on a quand même l’ambition d’amener le café au plus vite vers le consommateur, d’où l’idée de développer un entrepôt à Anvers. ” L’ACPCU a ainsi acquis un bâtiment dans le port anversois pour y vendre son café. D’après Nicolas Lambert, cette installation recèle de nombreux avantages pour tous les acteurs de la chaîne. ” Le client aura un accès à de plus petites quantités, et l’ACPCU supportera moins de coûts, vu que l’importateur et l’exportateur seront une seule et même entreprise. ” Surtout, via cette exportation facilitée, les paysans seront sûrs que le prix de vente de leur café sera au minimum équivalent à celui du marché. Et si ce dernier augmente, celui des paysans en fera de même.

” Avoir un entrepôt en Europe est tout à fait exceptionnel pour les coopératives qui collaborent avec nous, précise Karlien Wauters, responsable presse de Fairtrade Belgium. Souvent, elles s’occupent uniquement de l’exportation, mais pas de l’importation. ” L’ACPCU est la première coopérative de producteurs équitables à venir s’installer en Belgique. Avec la volonté de pérenniser ce commerce en profitant de l’énorme réseau du port anversois. En attendant de pouvoir vendre leur café (la récolte sera effectuée en mai prochain), Stanley Maniragaba et John Nuwagaba sont en pleine période de préparation. Mi-février, ils se sont promenés entre Anvers, Liège et l’Allemagne pour trouver de potentiels vendeurs de leur produit, mais aussi et surtout des torréfacteurs qui s’occuperont de rôtir les grains.

Si tout se passe bien, le café ougandais devrait être mis en vente à l’automne prochain. Avant de déferler sur le Royaume ? Nicolas Lambert en est persuadé. Pour appuyer ses propos, il se réfère à une expérience réalisée par l’UCL, l’ULB et l’Université de St-Andrews, en Ecosse. ” Dans cette expérience, les participants ont tous dégusté le même produit, sauf que la moitié d’entre eux pensait goûter un produit aux caractéristiques éthiques. Au final, ce sont ces derniers qui ont rapporté une meilleure expérience gustative. Conclusion : les gens sont plus actuellement attirés par les produits éthiques. ”

ÉMILIEN HOFMAN

Les coopératives s’occupent généralement de l’exportation de leur production mais pas de l’importation.

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