Quel impact les élections françaises auront-elles sur notre économie ?

Les cinq favoris: François Fillon, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Benoît Hamon. © BELGA IMAGE

L’issue de l’élection présidentielle française ne sera pas sans impact sur l’économie belge. Elle pourrait notamment s’avérer le levier décisif pour baisser l’impôt des sociétés chez nous.

La France et la Belgique, c’est une histoire de langue, de culture et de médias communs. A cela, l’élection présidentielle des 23 avril et 7 mai prochains ne changera rien. Mais c’est aussi une histoire économique (deuxième destination des exportateurs belges et très largement première pour les exportateurs wallons) et une histoire démographique (250.000 Français résident en Belgique et 126.000 Belges en France). Et ici, que le futur locataire de l’Elysée s’appelle Emmanuel Macron, François Fillon, Marine Le Pen ou un autre, cela peut changer énormément de choses.

Le plus gros chamboulement possible, ce serait une sortie de l’Union européenne, comme le prévoient les programmes de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon. ” Mais ils procéderaient par référendum et je doute que les Français les suivent, objecte Roland Gillet, professeur de Finances à la Sorbonne et à l’ULB-Solvay. Néanmoins, ce serait une poche d’instabilité de plus pour l’Europe. Et une instabilité sur un des grands pôles de l’Europe. Dans le contexte actuel, ce n’est vraiment pas bon pour le moral des troupes. Or, ce qui manque pour doper la croissance, c’est justement un climat plus apaisé. J’aimerais qu’une lueur d’espoir jaillisse de la France plutôt que cette ambiance très négativiste. ”

Sans aller jusqu’à une sortie de l’Europe, plusieurs programmes prévoient, peu ou prou, la mise en place de dispositions protectionnistes en vue de défendre les PME françaises, ce qui pourrait barrer l’accès des entreprises belges à certains marchés. Emmanuel Macron place heureusement ce protectionnisme dans un cadre européen (Buy European Act) et Jean-Luc Mélenchon dans celui du respect de normes sociales et écologiques équivalentes à celles de la France (ce n’est sans doute pas toute l’Europe mais certainement le Benelux). Emmanuel Macron est en outre l’unique candidat à ne pas remettre en cause les traités de libre-échange négociés par l’Europe. ” Tout cela n’est pas bon pour la liberté de commerce, estime Roland Gillet. On risque de voir de gros acteurs économiques adapter leurs comportements, et pas forcément en notre faveur. ”

Pression accrue pour une baisse de l’ISoc

La suppression de l’impôt sur la fortune ne serait pas décisive pour inciter ceux qui se sont déjà expatriés à opérer une marche arrière.

Le commerce transfrontalier peut être affecté par des choix fiscaux. La Belgique a pu le constater avec la hausse des accises sur le tabac et l’alcool. François Fillon entend relever la TVA de deux points. De quoi inciter des Français à faire leurs courses en Belgique ? Non, l’écart est trop faible et surtout, cette hausse doit financer des baisses de cotisations sociales, qui amélioreront la rentabilité des produits français. ” Dans un tax-shift intelligent, une hausse de la TVA est, économiquement parlant, tout à fait pertinente, estime Emmanuel Degrève (Deg & Partners). Mais il faut savoir l’assumer politiquement, ce que semble faire François Fillon. ” Roland Gillet abonde dans le même sens. ” Un ou deux points de TVA sur le prix de votre GSM, honnêtement, qu’est-ce que cela représente ? s’interroge-t-il. On peut même baisser le taux sur les produits de première nécessité pour aider à faire la mesure. ” La Belgique suivrait-elle l’exemple d’un Fillon président sur ce point ?

Ce qu’il faudra tenir bien à l’oeil, c’est l’évolution de l’impôt des sociétés. Tous les candidats annoncent une baisse du taux facial à 24 ou 25 %. ” Si une mesure m’inquiète, en tant que Belge, c’est bien celle-là, commente Roland Gillet. La Grande-Bretagne a annoncé un ISoc à 17 %. Si un grand voisin amorce aussi un mouvement à la baisse, nous ne pourrons pas rester avec nos 33 %. Et si nous neutralisons la baisse du taux facial en supprimant une série de dépenses admissibles, cela ne changera rien du tout. ” Il insiste pour inclure dans la réflexion l’ensemble des prélèvements, du chiffre d’affaires à ce qui est distribué aux dirigeants et aux actionnaires. Autant dire que le précompte mobilier à 30 % renforce ici le désavantage de la Belgique.

Cela dit, ce n’est pas parce qu’on promet un allègement de l’impôt des sociétés qu’on le réalise. Les Belges en savent quelque chose. ” Avant les élections, tous les partis proposaient une baisse de l’ISoc et nous ne voyons toujours rien, soupire Emmanuel Degrève. Cet impôt est en quelque sorte victime de son succès : il rapporte de plus en plus, ce qui amplifie la difficulté de le baisser car nos dirigeants ne veulent pas perdre cette recette. ”

Les exilés fiscaux ne quitteront pas la Belgique

Un élément que la Belgique scrute tout particulièrement, c’est l’impôt sur la fortune (0,5 % à 1,5 % sur les patrimoines de plus de 1,3 million d’euros). Il serait à l’origine de ” l’exil fiscal ” de riches Français venus s’installer en Belgique. François Fillon promet sa suppression. Cela pourrait-il inciter des Français à revenir au pays ? ” Il annonce aussi une flat tax à 30 % sur tous les revenus mobiliers, et cela n’incite pas au retour vers la France, répond Roland Gillet. En tout cas, tant que les plus-values ne sont pas taxées chez nous. ”

La nuance est de taille car cette taxation est exigée par le CD&V en ” compensation ” d’une réforme de l’ISoc. ” La Belgique adore scier doucement la branche sur laquelle elle est assise “, relève Emmanuel Degrève. Il relativise toutefois le risque de départ soudain des Français les plus fortunés installés dans notre pays. Selon lui, ils viennent autant pour les prix de l’immobilier ou la proximité géographique et culturelle que pour l’attrait fiscal. ” S’ils ne cherchaient que l’optimalisation, il est probable que le Luxembourg, le Portugal, la Suisse et l’Angleterre – prenons garde au Brexit – s’avèrent des havres plus séduisants “, dit-il. La suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) pourrait sans doute influencer les personnes qui envisageaient de quitter la France mais elle ne serait pas décisive pour inciter ceux qui se sont déjà expatriés à opérer une marche arrière.

Emmanuel Macron souhaite aussi la fin de l’ISF. Mais pour le remplacer par un impôt sur la seule fortune immobilière. A priori très peu incitatif pour un retour d’exil. D’autant que le candidat du mouvement ” En Marche ” entend aussi revoir la fiscalité immobilière. En France, celle-ci se répartit entre une taxe foncière, payée par le propriétaire, et une taxe d’habitation payée par l’occupant. Emmanuel Macron va lier la taxe d’habitation aux revenus, de façon à en exonérer 80 % des Français. ” Les collectivités locales, qui perçoivent l’essentiel de ces taxes, vont dès lors se rabattre sur la taxe foncière, s’insurge Olivier Hamal, président du syndicat national des propriétaires. Résultat : on va tout faire payer aux propriétaires. Cela va conduire à une hausse des loyers que les élus voudront alors encadrer, comme à Paris et dans quelques grandes villes. On risque de partir dans une chaîne sans fin au détriment des propriétaires. ” Olivier Hamal regrette cette propension des personnalités issues du monde bancaire (comme Emmanuel Macron) à vouloir taxer l’immobilier ” hors de leur core-business ” en épargnant les autres revenus.

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