Pas un jouet, une passion

© DANNY GYS/REPORTERS

En 1986, le comédien français Pierre Richard est tombé amoureux du domaine Bel Evêque à Gruissan, à un jet de pierre de Narbonne. Depuis, ce réel grand distrait s’est mué en un vigneron sincère et très impliqué. Avec sa soeur Véronique, il gère un domaine qui produit près de 80.000 bouteilles par an. Portrait d’un homme pudique qui a trouvé des secondes racines dans le Sud-Ouest.

“L’an dernier, la production du film Le Petit Spirou m’appelle et m’annonce que le tournage débute le 14 août. Je réponds sans hésiter : ‘Ah non, ce n’est pas possible, je ne suis pas libre avant septembre’. Me demandant si je suis déjà occupé sur un autre tournage, ils sont stupéfaits quand je leur assène calmement que je serai dans le Midi, dans mes vignes et que je ne bougerai pas de là avant septembre. Ils m’ont attendu… ”

Pour ceux qui en doutaient ou qui n’ont jamais eu l’occasion de déguster du Château Bel Evêque, Pierre Richard n’est pas comme certains de ses compères du monde du spectacle : le vin n’est, pour lui, ni une danseuse, ni un jouet commercial. Il est devenu un vigneron très impliqué dans son vin et son esprit flotte sur cette magnifique propriété de Gruissan au bord des étangs salés. ” Derrière le Château Bel Evêque, le vin parle de l’homme, confie Marc Dubernet, l’un des plus grands oenologues français qui collabore avec Pierre Richard depuis le début. En fait, le vin vous aide à comprendre Pierre. Si je devais le définir d’un mot, je dirais sensibilité. C’est un homme authentique qui fait les vins qu’il aime et qui est présent dans sa propriété à tous les moments clés. Il fait les assemblages et les valide. La cuvée Cardinal, le haut de gamme du Château, il l’a créée lui-même. C’est son idée et elle exprime parfaitement la sincérité de ses vins. Dans ce pays de Narbonne cohabitent deux grands hommes. Gérard Bertrand que j’ai vu naître et dont je connaissais bien le papa et Pierre Richard. L’un est né entre les pieds de vigne et l’autre est arrivé sur le tard et s’est lancé à corps perdu dans la viticulture. Il y a chez ces deux hommes que je connais si bien une passion invraisemblable pour le vin et leur terroir malgré leurs cheminements si différents. ”

Un gentil piège

Rien ne prédisposait Pierre Richard à se lancer dans la viticulture. Mais un beau jour de 1986, lors d’une balade dans la région, il est tombé amoureux du domaine Bel Evêque et il est rentré pour se renseigner. ” Le propriétaire était décédé, explique le Grand Blond. Le régisseur se lamentait car les héritiers ne lui donnaient pas l’argent nécessaire pour entretenir les vignes. Sur le moment, cela m’est un peu passé au-dessus de la tête et je suis rentré à Paris. Les vignerons sont des gens passionnés et donc passionnants. Mine de rien, malgré mon oreille paresseuse, ce régisseur avait mis le ver dans mon fruit. Et un mois plus tard, j’ai demandé à mon secrétaire de voir si la propriété était toujours à vendre. Et nous sommes redescendus à Gruissan. Quand je suis arrivé, sept ou huit personnes m’attendaient dont un sommelier et un expert en viticulture. Un vrai traquenard ! (rires) Avant de me décider, je leur ai demandé quel était le meilleur oenologue dans le coin. Ils m’ont dit : ‘Dubernet ! ‘ Je l’ai appelé, bien conscient de mes lacunes. ‘Si j’achète, vous me suivez ? ‘ Il a attendu cinq secondes et croyez-moi dans ces cas-là, cinq secondes, c’est long ! Il a dit oui et la machine s’est emballée… ”

Rentré à Paris, Pierre Richard est allé trouver sa soeur, Véronique Gillet qui s’occupe de ses affaires pour lui annoncer qu’il allait acheter une propriété viticole. ” Je lui ai dit qu’il était fou, raconte-t-elle. Qu’il n’y connaissait rien. ‘Pas grave, on va s’y mettre ! ‘, m’a-t-il répondu. Et 30 ans plus tard, nous sommes toujours là. Je me suis prise au jeu. Aujourd’hui, je gère l’exploitation et la partie commerciale du Château. Je pilote l’équipe en place. C’est un vrai travail d’équipe. Il y a, entre nous tous, une invraisemblable complicité depuis toutes ces années. Pierre a fait confiance et les gens le lui ont merveilleusement rendu. Et le virus est en moi aussi. Comme nous avons beaucoup replanté car le vignoble était en très mauvais état, ces vignes, je les ai vues grandir. Tous les ans, la première fois que je retourne au domaine, je m’arrête d’abord dans les vignes et je respire l’endroit. ”

Madeleine de Proust

Pierre Richard s’appelle en réalité Pierre-Richard Defays. Son grand-père, Léopold Defays, était le directeur de l’usine sidérurgique Escaut-et-Meuse située non loin de Valenciennes. C’est lui qui va s’occuper de l’éducation du petit Pierre. ” Il n’a pas vraiment eu une enfance heureuse, explique Calcedonio Terrazzino dit ‘Terra’ qui, pour le compte de la société Va.S.Co, distribue les vins de Pierre Richard en Belgique. Cela fait 20 ans que je connais Pierre et au fil de nos aventures belges, il est devenu un véritable ami. Pierre a très peu connu son papa et son grand-père lui a donné une éducation stricte et conservatrice. Quand il sortait avec ses amis artistes, il mettait une casquette pour que les gens ne reconnaissent pas le petit-fils de Léopold Defays… Le vin, c’est une véritable madeleine de Proust pour Pierre et cela explique sa sincérité dans sa démarche. Son grand-père lui a fait découvrir le bourgogne. Et quand il parle de son père, il se souvient encore aujourd’hui du jour où il lui a fait goûter du Cheval Blanc. Il est très ému quand il parle de cela. C’est un homme simple qui n’est jamais aussi heureux que quand on improvise un truc à la bonne franquette. Cette simplicité lui vient de sa maman, d’origine italienne. D’ailleurs, il se souvient, avec tout autant d’émotion, de la dernière fois qu’il est parti dans les Marches, ses racines italiennes, avec sa maman. ”

La démarche viticole de Pierre Richard ne se comprend qu’à travers le prisme de ses relations familiales. Ce domaine du Bel Evêque, il l’a construit pas à pas avec sa soeur et cette aventure a eu le bonheur de cicatriser certaines blessures d’enfance. ” Nous avons, en fait, la même maman, confie Véronique Gillet. Il y a 15 ans de différence entre nous. Quand il est parti de la maison, j’avais 4 ans. La vie et la situation familiale ont fait que j’ai été privée pendant de nombreuses années de ce frère que j’admirais tant. A une époque, je faisais du spectacle et du cabaret. J’étais auteur-compositeur-interprète et pion dans un lycée pour assurer les fins de mois. Puis tout s’est délité et maman a demandé à Pierre s’il n’avait pas quelque chose pour moi. Ce qui a commencé comme un simple job de secrétaire à mi-temps s’est mué en une véritable collaboration. J’ai créé son secrétariat, j’ai dirigé sa maison de production et en plus de cela, il est arrivé avec son vignoble ! Le vin nous a vraiment rapprochés. J’y ai vraiment découvert mon frère. C’est une aventure commune que nous menons bras dessus, bras dessous depuis le début. Et je suis ravie que son fils aîné s’implique dans le domaine. Pierre en est tout ému. Nous n’avons pas fait tout cela pour rien. Et l’esprit de Pierre continuera à flotter sur la propriété. ”

Pudeur

Quand on rencontre Pierre Richard dans un cadre privé, loin du tumulte, il est impossible de ne pas être frappé par sa simplicité, ce sentiment que nous sommes amis depuis longtemps et que nous ne faisons que reprendre une conversation. Et puis, il y a ce côté pudique : jamais, il ne se met en avant. ” Il fait preuve d’une incroyable pudeur, explique Marc Dubernet. Au début, cette réserve l’empêchait de parler comme il fallait de ses vins. Et puis, le déclic s’est fait. ” ” Il a fallu forcer Pierre pour mettre son nom sur les étiquettes des bouteilles, renchérit Véronique Gillet. Il ne voulait pas du tout. Mais franchement, c’était utopique. Ce vin, c’est lui. Et puis, il aurait été dommage de se priver de son image. ”

Il ne faut pas croire que la célébrité n’a que des avantages quand on produit du vin. Surtout au début. ” Franchement, ce n’est pas un cadeau, confie Pierre Richard. Au début, ils ricanaient tous sous cape. Un vin Pierre Richard ? Quoi, c’est un vin rigolo ? Après, quand les gens se rendent compte que le vin est bon et que c’est un vrai produit de vigneron, les réactions changent et la célébrité aide. Je ne vais pas le nier. Mes séances de dédicace l’été dans ma propriété rencontrent un succès colossal. Je me suis fait une tendinite du poignet à force de signer et tourner les bouteilles. Mais je vois bien que cela rend les gens heureux. Et puis, dès le départ, j’ai adopté une démarche humble et sincère. Je n’ai jamais eu la prétention de monter sur un tracteur à 5 h du matin et de jouer au Parisien qui débarque à la campagne et va en mettre plein la vue aux gens du cru. ”

Au fil du temps, le premier François Pignon du cinéma français a marqué le domaine de son empreinte, a appris et a développé des vins qui lui ressemblent. ” L’oenologue n’est pas là pour faire son propre vin, confie Marc Dubernet. Nous aidons nos clients à faire LEUR vin. C’est ma philosophie. Nous accompagnons mais la personnalité du vigneron exprime la vérité de son vin. Aujourd’hui, Pierre rentre dans de nombreux détails tout en ayant conservé sa capacité d’écoute. Il a gardé son côté hors milieu qui continue de le servir. ” ” Pierre a créé le Château Bel Evêque avec Marc, poursuit Véronique Gillet. Avant, tout le vin du domaine partait en coopérative. Nous avons fait du rosé au début car les vignes étaient trop jeunes pour du rouge. Il a eu un tel succès que nous avons continué. Après, Pierre s’est amusé avec des créations au fur et à mesure du développement du vignoble comme pour les cuvées monocépages, sa réserve personnelle. Un été, nous sommes tombés à court de rouge. Alors, nous avons mis en vente ces cuvées personnelles. Il a écrit sur les bouteilles car elles n’avaient pas d’étiquettes… ”

Investissements importants

Bon an mal an, il se produit environ 40.000 bouteilles du Château Bel Evêque rouge, 12 à 15.000 de rosé, 8.000 de la cuvée Cardinal. Sans oublier les cuvées personnelles de Pierre, des monocépages 100 % syrah ou 100 % mourvèdre, ainsi que des cuvées spéciales comme les Noces d’Argent ou le Blondus Ricardus. A côté de cela, les vins labellisés sous le nom Démon de l’Evêque sont ce que l’on appelle des vins de négoce issus d’accords (fermages) avec des vignerons locaux. Pour autant, l’affaire est tout juste rentable. ” Je ne gagne pas d’argent, confie Pierre Richard. Je suis surtout content de ne pas en perdre. Avec la climatologie actuelle, nous jouons au poker chaque année. L’été dernier, la grêle est tombée à 15 km de Gruissan en juillet. En juillet, vous vous rendez compte ? Sincèrement, j’ai quand même la chance de faire l’acteur quand je vois tout ce que j’ai investi. Je me demande souvent comment font les jeunes qui débutent… ”

Véronique Gillet confirme. ” Nous équilibrons et sommes contents quand cela paie aussi les investissements nécessaires. Il y a toujours à faire dans une propriété. En 30 ans, nous n’avons pas gagné grand-chose. Il faut dire que Pierre a toujours voulu le meilleur et nous avons posé des choix culturaux qui coûtent cher : désherbage à la main ou au tracteur, vendange manuelle, rendement pas trop élevé pour garder une belle concentration. Tout cela ne se rattrape pas sur le prix de vente. Nous sommes en Corbières ici, pas à Saint-Emilion alors que le travail est le même. La récompense ? Les gens reviennent fidèlement acheter notre vin car son rapport qualité/prix est bon. ”

Même s’il prend son travail de vigneron très au sérieux et qu’il y a mis toute sa personnalité, Pierre Richard demeure un comique dans l’âme et son humour ravageur n’est jamais loin. ” En 20 ans, nous sommes vraiment devenus des compères, conclut Calcedonio Terrazzino. Pierre s’est toujours plié de bonne grâce à tout ce que j’ai imaginé pour promouvoir ses vins. Je me souviens d’un été sur la plage de Knokke. Nous avions mis une tente sur le sable pour manger. Mais le vent s’est levé. Huit Beaufort ! Il fallait se cramponner pour ne pas s’envoler. Evidemment, vu les circonstances, il a fait le clown tout l’après-midi. Aujourd’hui à 82 ans, j’allège son programme. De nos jours, son dada, c’est de faire croire que je l’exploite, qu’il n’est que mon souffre-douleur et que sa vie est un enfer (rires). ”

Finalement, devenir vigneron a-t-il rendu Pierre Richard heureux ? ” C’est la vraie question en fait, conclut l’acteur. Je vous réponds oui. Cela m’a ouvert les portes d’un monde que je ne connaissais pas. Je suis sorti de mon ciné, j’ai fait d’autres rencontres, découvert d’autres centres d’intérêt. Et je me suis fait deux-trois vrais amis. De nouvelles racines. Cela suffit pour être heureux, non ? ”

XAVIER BEGHIN

” Au début, tous ricanaient sous cape. Un vin Pierre Richard ? Quoi, c’est un vin rigolo ? ”

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