L’inquiétante europe fiscale

Dès son origine, l’Union européenne a progressé grâce à des mesures fiscales. Certes laborieusement, elle a réussi à créer, en tout cas pour les marchandises, un véritable ” marché unique “, ce qui impliquait la suppression totale des droits de douane entre Etats membres et l’élaboration d’un système douanier commun à l’égard des pays tiers.

Il s’agit d’une réussite qui a considérablement contribué à la prospérité des habitants de l’Europe, grâce à un système de libre-échange. Cette réussite, fondée sur des principes libéraux, s’est malheureusement accompagnée d’une politique agricole commune basée sur des principes diamétralement opposés qui ont amené à une subsidiation de productions déficitaires et ont transformé bon nombre d’agriculteurs en des personnes aidées par les pouvoirs publics, alors qu’à l’origine il s’agissait de véritables travailleurs indépendants.

Le marché unique a aussi impliqué une unification des règles relatives à la fixation de la base imposable en matière de TVA, ce qui a aussi favorisé les échanges entre Etats. On sait moins, en revanche, que cette harmonisation n’est pas complète, puisqu’elle ne porte pas sur les taux de TVA. Et pour ceux-ci, il a fallu constater une dérive qui n’a fait que s’exacerber au fil du temps : l’Europe a fixé des minima aux taux de TVA, mais non des maxima, montrant ainsi la voie vers une politique fiscale consistant à empêcher la concurrence fiscale, sans jamais protéger le contribuable.

A l’exception de la directive épargne, l’Europe n’est que fort peu intervenue dans le domaine de l’impôt des personnes physiques, pour lequel ses institutions ne sont en principe pas compétentes. En revanche, en matière d’impôts des sociétés, on assiste de plus en plus souvent, et ce malgré la règle de l’unanimité, à la multiplication de directives dont le seul objectif est de réduire la concurrence fiscale entre les Etats en empêchant ceux-ci d’accorder des avantages aux entreprises.

Cette politique est clairement dirigée par les ” grands ” Etats de l’Union, dont la France et l’Allemagne, contre les plus petits d’entre eux. Ceux-ci, dont le marché intérieur est plus réduit, ont toujours ressenti le besoin d’attirer des entreprises étrangères, européennes ou non, par des avantages fiscaux, en principe licites s’ils ne sont pas sélectifs, c’est-à-dire s’ils sont accessibles également à tous.

Aujourd’hui, la Commission s’attaque, à tort ou à raison, sur le plan du droit européen à ces avantages en utilisant des règles de droit de la concurrence qui n’ont pas été conçues pour cela. Les pays victimes de cette politique, comme la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas ou l’Irlande sont toujours des petits pays qui ont choisi un système fiscal accordant des avantages consistant en une réduction de la base imposable.

Cette politique est dangereuse pour des Etats comme la Belgique parce que sans avantages fiscaux, ils sont a priori moins attrayants que les grands pays pour lesquels l’implantation offre un accès à un plus grand nombre de consommateurs.

Aujourd’hui, les directives s’accumulent, prévoyant des mesures anti-abus, des interdictions d’accorder des avantages en matière de droits intellectuels, des limitations des intérêts déductibles par les entreprises. Presque toujours, l’objectif unique poursuivi par l’Europe est de maintenir un certain niveau de taxation. Pratiquement jamais, si ce n’est pour des détails, il n’est question de limiter le niveau d’imposition. Des questions aussi fondamentales que celles de la fixation d’un ” bouclier fiscal ” européen, qui limiterait le niveau d’imposition par rapport au PIB, ou le niveau de taxation de chaque individu par rapport à son revenu, ne sont jamais abordées parce que cela n’intéresse visiblement pas la bureaucratie européenne. Seule la protection des recettes fiscales des Etats semble justifier son intérêt.

Certains Etats, également parmi les plus petits, réagissent en utilisant leur dernière arme : l’utilisation des taux d’impôt. C’est ce que fait l’Irlande depuis longtemps avec son taux de 12,5 %, tout comme la Roumanie, la Bulgarie ou Malte, tandis qu’aujourd’hui la Hongrie évoque la fixation d’un taux de… 9 %. Cette réaction est logique, mais l’on peut craindre que les plus fédéralistes ou les plus étatistes des Européens poussent, non pas à la fixation d’une fourchette de taux d’impôt, entre un minimum et un maximum – l’Europe ne fixe jamais de maxima – mais à un taux minimum d’impôt des sociétés. Un peu comme ces entreprises qui fondent, au mépris du droit… européen, un cartel pour ne jamais réduire leurs prix.

THIERRY AFSCHRIFT

Presque toujours, l’objectif unique poursuivi par l’Europe est de maintenir un certain niveau de taxation.

Il n’est pratiquement jamais question de limiter le niveau d’imposition.

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