Le parfum en odeur de sainteté

© PG/IRÈNE DE ROSEN

En créant à Paris un espace dédié à l’art du sent-bon, l’entrepreneur Guillaume de Maussion parie sur une scénographie de haut vol et un parcours interactif pour attirer 200.000 visiteurs par an.

S’il y a bien un lieu où il faut remettre sa visite à plus tard en cas de rhume intempestif et de congestion nasale, c’est bien celui-là. Le Grand Musée du Parfum qui s’est ouvert à Paris le 22 décembre dernier à Paris, requiert toute votre attention olfactive. Le silence règne d’ailleurs en maître dans ce somptueux hôtel particulier de quatre niveaux et 1.350 m2, comme s’il s’agissait de faire taire les autres sens pour mieux se concentrer sur celui qui est, magnifiquement, mis à l’honneur.

Parler du parfum n’était pas un pari aisé, même au terme d’un investissement de 7 millions d’euros. Comment rendre visible quelque chose qui est par principe invisible ? ” Le challenge était compliqué, reconnaît Guillaume de Maussion, 55 ans, entrepreneur, président et fondateur du musée privé. La première tentation, c’est d’accumuler les flacons et de les mettre dans une vitrine. Ce n’était pas notre prisme. On a choisi plutôt l’explication sensorielle avec une approche participative. Dans les musées traditionnels, ce qui me gêne, c’est que, souvent, si vous venez à deux, après cinq minutes, vous êtes séparés et chacun fait son chemin. Ici, les gens font la visite ensemble, se parlent, partagent leurs expériences. ”

L’interactivité est au coeur du programme de cette nouvelle adresse qui mixe les genres et n’appartient à aucun en particulier. ” On peut définir l’endroit par ce qu’il n’est pas. Nous ne voulions pas faire une cité de sciences pure et dure parce qu’avec le parfum, nous sommes dans un univers de raffinement auquel nous tenions, détaille le PDG. Nous n’avions pas envie d’un musée élitiste parce qu’on souhaite s’adresser à tout le monde. Nous n’avions pas envie non plus d’un musée trop classique, parce que pour les gens c’est boring, cela ne séduit plus. Ce n’est pas davantage un flagship, même si les gens visitent aujourd’hui les grandes boutiques de luxe comme s’ils visitaient des musées car on y trouve une sophistication du décor qui est très aboutie. En fait, nous nous trouvons au croisement de ces quatre influences. Dans chacune d’entre elles, nous avons puisé ce qui nous intéressait. ”

Symbole de liberté

Direction le sous-sol. La visite commence dans les entrailles voûtées d’une bâtisse bourgeoise qui fut la demeure d’un notable sous Napoléon III et abrita les ateliers du couturier Christian Lacroix. Dans une pénombre à peine troublée par la projection d’arabesques multicolores, quelques figures familières rappellent que le parfum est d’abord une histoire de séduction. Cléopâtre et Marc-Antoine, Napoléon et l’impératrice Eugénie, Salomon et la reine de Saba ou Louise Brooks, l’actrice des années 1920, dont la coupe au carré et l’indépendance d’esprit inspirèrent l’industrie de la cosmétique avec le lancement en 1919 par Caron de ” Tabac Blond “, un sent-bon érigé en ” symbole de liberté et d’élégance androgyne, dédié aux garçonnes adeptes des cigarettes blondes “.

Dans ce hall of fame, illustré par de belles aquarelles rétro-éclairées sur écran, les organisateurs ont eu la bonne idée de faire court. Cette volonté de ne pas s’appesantir est l’une des grandes qualités du projet. Il était facile de se perdre dans les méandres historiques, scientifiques, techniques ou symboliques. Bref de faire bâiller d’ennui le visiteur et d’avancer en se bouchant le nez. Il n’en est rien.

A chaque étage, l’approche est concise, le traitement, élégant. Ici, c’est une salle sur la route des parfums avec des vasques en grès qui libèrent des notes boisées de myrrhe et transportent instantanément le visiteur dans des paysages bibliques. Plus loin, c’est un ” orgue à parfums ” – célèbre objet de rangement en demi-cercle où les professionnels disposent leurs flacons -, noyé dans un énigmatique brouillard transpercé de rais de lumière.

Quelques marches plus haut, des sculptures en forme de grandes corolles blanches révèlent des senteurs du quotidien. Chaque ” séquence ” apporte son atmosphère et sa touche qui devrait être complété cet été par l’accès à un jardin de 1.000 m2 attenant au bâtiment.

Le parfum est une affaire de délicatesse et les organisateurs n’en manquent pas. Ce parcours sans faute a été mis au point par l’agence parisienne Projectiles, spécialisée dans la muséographie, avec l’aide de designers britanniques (Harvey & John, Jason Bruges Studio) qui ont travaillé sur des installations spécifiques comme celle dédiée aux matières premières, un dispositif où l’on peut humer 25 ingrédients phares utilisés en parfumerie. Cardamome, patchouli, bois de oud, jusqu’à l’énigmatique Ethyl maltol, car les molécules de synthèse sont entrées depuis longtemps dans les laboratoires des parfumeurs.

” Nous avons utilisé un système de diffusion sèche. On souffle de l’air sur des concentrés qui ne contiennent pas d’alcool, car c’est l’alcool contenu dans le parfum qui donne des maux de tête. Ici, c’est comme si vous étiez dans un jardin, vous pouvez sentir toutes les fleurs sans avoir la migraine. ” Mieux vaut cependant ne pas enchaîner les tests au risque d’éprouver une légère saturation…

Une vision 3.0

C’est au tournant des années 2010, après avoir lancé des sociétés de service dans l’e-commerce, entre autres dans le secteur de la cartographie et de la géolocalisation, que Guillaume de Maussion a l’idée de monter un lieu dédié au parfum dans la capitale française. ” Paris a cette chance d’avoir pour le monde entier une identité quasiment fusionnelle avec le parfum “, avance le businessman qui pense probablement à Dior, Chanel ou Guerlain. A Paris, il existe pourtant depuis 1983 le Musée Fragonard, mais celui-ci met l’accent sur l’histoire et la fabrication, en lien direct avec une marque. Presque un contre-modèle pour l’entrepreneur qui, dès le début, avec ses trois associés venus du monde de la publicité, du luxe et de la finance, parient sur un concept 3.0, indépendant d’un label. ” Nous sommes partenaires du syndicat de la parfumerie qui a travaillé en amont en collaboration avec les marques de parfum mais aucune n’est mise en avant dans le musée, cela aurait été la bagarre “, estime le fondateur qui a fédéré une société de gestion, Extendam, spécialisée dans le tourisme, pour financer, entre autres coûts, les travaux de rénovation de l’hôtel particulier. L’IFF (International Flavors & Fragrances), l’un des leaders mondiaux dans la fabrication d’arômes, est un autre partenaire clé. Au total, une cinquantaine d’investisseurs participent à l’aventure dont les frais de fonctionnement annuels (environ 3 millions d’euros, en partie dévolus à la location de l’hôtel particulier) devraient être couverts par la fréquentation évaluée à 200.000 visiteurs par an.

Des chiffres qui pourraient placer le lieu en 40e position des sites culturels parisiens, non loin du score obtenu par le Palais Galliera, un musée consacré à la mode qui connaît un franc succès depuis sa réouverture en 2013. Il y a de quoi être confiant : à peine inaugurée, la formule développée par Guillaume de Maussion, pourrait connaître une version bis en Chine, un pays où le luxe made in France exerce une fascination aussi entêtante que certaines effluves.

Le Grand Musée du Parfum,73, rue du Faubourg Saint-Honoré 75008 Paris.

Entrée : 14,5 euros.

www.grandmuseeduparfum.fr

ANTOINE MORENO

Dans une pénombre à peine troublée par la projection d’arabesques multicolores, quelques figures familières rappellent que le parfum est d’abord une histoire de séduction.

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