Paul Vacca

Devenez un meilleur CEO: lisez des romans

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Ironie de la situation, c’est parmi les maîtres des écrans que l’on compte aujourd’hui les plus fervents défenseurs de l’écrit. A la Silicon Valley, ils mettent leur progéniture dans des écoles qui troquent des ordinateurs pour des tableaux noirs et des livres.

Certains comme Bill Gates ou Mark Zuckerberg proposent régulièrement leurs listes de must read ou reconnaissent comme Elon Musk avoir été formés par les livres ; d’autres, comme Warren Buffet, vont jusqu’à conseiller de lire 500 pages par jour (sic ! ) et déclarer consacrer jusqu’à 80% de leur temps à la lecture. Les méthodes de lecture rapide comme Kwik font florès. Bientôt, sur les campus de Stanford ou du MIT, on se cachera pour utiliser un ordinateur ou une tablette préférant être vu un livre à la main. Lire ou ne pas lire, telle n’est plus la question : leaders are readers, c’est le mantra des nouveaux CEO.

Ce n’est pas nous qui allons nous plaindre. Reste à savoir quoi lire. Un leader a par définition peu de temps. Donc le temps dévolu à la lecture doit être rentable : il lui faut lire utile. Mais qu’est-ce que ” lire utile ” si vous êtes un CEO ou un leader ?

Vous êtes dans une librairie. La première idée qui vient à l’esprit, en toute logique, est de vous diriger vers le rayon ” économie “. Vous y trouverez tout ce qu’il faut sur les nouvelles thèses à la mode et tous les courants de pensée orthodoxes, hérétiques, pro, anti ou alter… Très intéressant, mais peut-on qualifier d’utile pour la conduite de vos affaires la lecture d’un ouvrage théorique dépassant parfois les 400 pages dont votre magazine économique préféré vous offre d’excellent digests ?

La fiction, contrairement aux essais, ne vous impose pas une clef de lecture du réel, elle vous demande de créer la vôtre.

Passez alors au rayon biographie ou leadership attenant où vous saurez tout sur les grands CEO ou leaders charismatiques, au hasard, Steve Jobs, Michelle Obama, Sheryl Sandberg, Elon Musk, Bill Gates ou Carlos Ghosn… Leur vie exaltante et leurs préceptes n’auront plus de secret pour vous. Mais là encore est-ce véritablement utile ? Car ces ouvrages pour palpitants et documentés qu’ils soient possèdent un vice de forme : ils vous racontent tous que réussir consiste à être pleinement soi-même… tout en vous offrant un exemple à suivre. Un petit goût d’injonction contradictoire comme dans la célèbre pub pour Apple qui enjoignait de penser différemment ( think different)… tout en nous fournissant des modèles comme Gandhi, Picasso ou Einstein. Soyez vous-même, disait Oscar Wilde, parce que les autres, c’est déjà pris.

Vous mettrez alors le cap sur le rayon sciences humaines. Une vue imprenable sur toutes les théories et visions du monde qui comptent aujourd’hui vous y attend. Vous n’aurez que l’embarras du choix. Mais là aussi, attention au piège. Il y a fort à parier que vous vous dirigeriez naturellement – nous le faisons tous – vers des livres qui confirmeront ce que vous pensez. Ce sera alors une lecture agréable et enrichissante, mais légèrement redondante alors pas forcément utile. N’est-ce pas une perte de temps que de lire un livre qui vous expose même brillamment ce que vous saviez déjà ?

Dépité, vous vous dirigerez alors vers la sortie, vous avez suffisamment perdu de temps comme ça. Mais le rayon roman retiendra votre attention. Quitte à être là, autant en profiter. Vous furetez entre contemporains et classiques, thriller et science-fiction et pourquoi pas romance… Seul votre instinct vous guidera car, contrairement à ce que prétendent les Anglo-Saxons, il est parfois bon de juger les livres à leur couverture.

Et là, sans le savoir, vous avez fait des achats utiles. Car tous les romans que vous avez choisis développeront quelque chose que mêmes les meilleurs essais peinent à offrir : l’ouverture sur les niveaux de complexité et de subtilité psychologiques comparables à ceux que vous pourrez entretenir avec des collaborateurs ou des partenaires. Ils feront naître en vous des perspectives nouvelles en vous faisant adopter d’autres points de vue. Et parfois ils vous plongeront dans des points de vue diffractés, indéchiffrables avec des ” narrateurs peu fiables ” et des énigmes que vous serez le seul à pouvoir résoudre.

Car la fiction, contrairement aux essais, ne vous impose pas une clef de lecture du réel, elle vous demande de créer la vôtre. Un peu comme vous êtes appelé à le faire dans votre vie de CEO. Et ça, si c’est pas utile !

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