Steven Beckers, l’architecte précurseur de l’agriculture urbaine en Belgique

© KAREL DUERINCKX

Steven Beckers met récemment toute son énergie à promouvoir l’agriculture urbaine à grande échelle.

“Pourquoi est-ce que j’ai fait tout ça ? C’est une bonne question. Est-ce que je l’aurais fait si j’avais su… ” Steven Beckers, 58 ans, chantre de l’économie circulaire et précurseur de l’agriculture urbaine en Belgique, se définit comme un ” pionnier “. Et confie avoir enfoncé pas mal de portes pour faire entendre ses idées.

Né à Bruxelles de père belge et de mère anglaise, l’architecte se dit profondément européen. ” Mes grands-parents étaient de quatre nationalités différentes “, sourit-il, ajoutant avoir été très proche de son grand-père paternel, l’ingénieur André Beckers, qu’il décrit comme son mentor. ” C’était un homme intègre et créatif “, raconte-t-il. Inventeur de la construction métallique soudée, celui-ci a bâti l’Atomium. Un héritage dont Steven Beckers se réclame. Quand, entre 1996 et 2000, il conduit la rénovation du Berlaymont, emblématique siège bruxellois de la Commission européenne, l’architecte songe avec fierté à son aïeul.

Enfant de l’éducation nouvelle dispensée à Decroly puis diplômé de l’école d’architecture Saint-Luc, Steven Beckers éprouve très tôt sa conception avant-gardiste du premier art. ” Mon travail de fin d’études ciblait un hôtel de 300 chambres et un centre de conférences à Meknès, au Maroc, explique-t-il. Tout ce pour quoi je milite y était : matériaux et main-d’oeuvre locaux, ventilation naturelle, zéro énergie fossile, purification de l’eau, potager sur le toit… Je n’ai jamais conçu un projet aussi parfait depuis. ” Quoiqu’il ait failli être réalisé, le complexe restera un rêve sur papier. Mais conforte le jeune homme dans la voie qu’il s’est trouvée. Après un stage de deux ans en Suisse, Steven Beckers se rend au Royaume-Uni. ” Je voyais Londres comme un tremplin vers les Etats-Unis, souligne-t-il. J’étais convaincu que c’était là que les choses se passaient. ” Fraîchement débarqué, il fait le tour des bureaux d’architecture et décroche un emploi au sein d’EPR Architects. ” Sur six bureaux visités en quatre jours, le seul qui ne m’a pas offert du boulot, c’est Norman Foster “, glisse-t-il. Il faut dire que Londres est alors en plein boom et manque d’architectes. ” En 11 ans, de 1986 à 1996, j’y ai tout appris, reprend-il. Les Anglais étaient versés dans l’écodesign bien avant tout le monde. ” Promu directeur du département européen à seulement 28 ans, Steven Beckers multiplie les projets d’urbanisme et les concours, enchaînant les déplacements à un rythme effréné. ” Une expérience incroyable et… invivable, qui m’a coûté un mariage d’ailleurs. Quand on évolue dans un milieu aussi compétitif que Londres et qu’on est étranger en plus, il faut se battre. ”

En parallèle, l’architecte crée un groupement européen d’intérêt économique (GEIE) avec trois bureaux : R&A Mahieu à Bruxelles, Daviel à Paris et Arqui III à Lisbonne. Et signe notamment le siège de l’Expo 98 dans la capitale portugaise.

Berlaymont 2000

Une opportunité incroyable le décide à rentrer au pays puisqu’il est désigné par l’Etat belge pour mener la rénovation du Berlaymont en 1996. ” En quatre jours, j’ai vendu mon appartement, ma voiture et je me suis retrouvé à Bruxelles. ” Le projet le passionne et l’occupe à plein temps pendant quatre ans, avant qu’il décide de s’en retirer, en 2000. ” Je préfère ne pas m’étendre. Je dirai seulement que j’avais perdu le contrôle du projet pour des raisons qui n’étaient pas forcément honnêtes. ” Le bâtiment sera livré en 2004, avec quatre ans de retard.

Dans la foulée, Steven Beckers rejoint le bureau bruxellois Art&Build, où il alignera ” 11 ans de bonheur ” et de nombreuses réalisations. Dont les bâtiments du Conseil de l’Europe, à Strasbourg. ” Pierre Lallemand ( cofondateur d’Art&Build, Ndlr) a pris en charge le design de la Pharmacopée et moi celui de l’Agora, précise-t-il. C’était un concours anonyme. Nous étions candidats pour les deux projets et… nous les avons remportés tous les deux. C’est le président du Conseil de l’Europe qui me l’a annoncé, en direct à la radio française. Un des appels téléphoniques les plus comiques que j’ai eus. ”

Mon travail de fin d’études ciblait un hôtel de 300 chambres et un centre de conférences à Meknès, au Maroc. Tout ce pour quoi je milite aujourd’hui y était déjà.

En sus de la création d’une ONG en Ethiopie avec l’architecte Oswald Dellicour et l’ingénieur Laurent Ney, celui qui admet avoir ” tendance à faire trop de choses à la fois ” goûte aussi à l’enseignement, à l’ULB. ” J’ai adoré ! Et puis, l’atelier d’architecture, c’est le seul moment où tu débranches ton portable pendant une matinée… ” Son emploi du temps de ministre le rattrape toutefois au galop voici trois, quatre ans et le contraint à renoncer à son cours.

Puis viennent les adieux avec Art&Build, en 2011. Et l’écriture d’une page nouvelle. ” En 2005, six ans plus tôt, j’ai reçu le livre Cradle to cradle de l’Allemand Michael Braungart. ” Une lecture qui change sa vie et l’incite à tout faire pour rencontrer l’auteur – ” c’est aujourd’hui un ami ; il m’a même offert de le rejoindre “. Pétri d’économie circulaire, il démarre sa société de consultance, Lateral Thinking Factory (LTF). ” Là où, chez Art&Build, on considérait que je compliquais les projets, une fois que j’en suis sorti, les promoteurs sont venus à moi dans ce but bien précis “, plaisante-t-il.

Comme son nom l’indique, LTF envisage le bâtiment de façon latérale, comme un ” système complexe dont les composants sont liés et interagissent intelligemment ensemble “. C’est ce concept qui prévaut entre autres pour les smart buildings. ” Le partage d’informations permet à l’immeuble d’apprendre à fonctionner en autonomie “, indique Steven Beckers, dont l’une des missions consiste à étudier toutes les innovations que permet l’Internet des objets.

Sur les toits de Bruxelles

Un autre projet occupe la moitié de son temps depuis 2013 : l’agriculture urbaine. ” Tout est parti d’une étude réalisée par LTF à la demande du ministère bruxellois de l’Environnement, détaille-t-il. Notre équipe a cartographié toutes les toitures de la capitale potentiellement utilisables. ” Au total, 6 millions de mètres carrés sont identifiés, dont 10 % sont retenus pour une exploitation future. Soit tout de même 60 hectares. ” A titre de comparaison, à Paris, il est question de 30 hectares. ”

Pour poursuivre le travail, Steven Beckers crée une autre société en 2015 : BIGH, pour Building Integrated Greenhouses. Au terme de trois ans de gestation, la première ferme aquaponique urbaine de Bruxelles – et la plus grande d’Europe puisqu’elle s’étend sur 4.000 mètres carrés – a ouvert ses portes en avril dernier sur les toits des Abattoirs d’Anderlecht. Sa production annuelle – 35 tonnes de poissons, 18 tonnes de tomates, plus de 170.000 pots d’herbes aromatiques et des micro-pousses – est écoulée dans un réseau de commerces, de supermarchés et de restaurants bruxellois. ” Aujourd’hui, tout le monde veut faire de l’agriculture urbaine, avertit-il. Mais pour moi, c’est plus qu’un truc de bobos. L’objectif final est de nourrir les citadins. Une ferme urbaine doit pouvoir vivre de la vente de sa production, ce qui n’est pas le cas de 98 % d’entre elles. ”

Après avoir levé 4,5 millions d’euros pour lancer la société et la première ferme, BIGH réitère une levée de fonds de 8 millions d’euros pour la suite. Au programme, deux autres fermes, en Flandre et en Wallonie. ” Nous avons une dizaine de projets dans le pipeline. Et on nous en propose des nouveaux tous les jours “, assure Steven Beckers.

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